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Les bœufs au travail, vingt ans après – et demain. Une note personnelle Cozette GRIFFIN-KREMER

nettoyage terre laurent janaudy 1 ok. Les bœufs au travail, vingt ans après –

Chez Laurent Janaudy Novembre 2017 Photo Véronique Nioulou

Article publié en septembre 2020 sur le site de la Société d’Ethnozootechnie et reproduit avec son aimable accord.

 Ethnozootechnie n° 107 – 2020  cliquez ici pour voir et ici pour voir l’article en ligne.

Une note personnelle Cozette GRIFFIN-KREMER Chercheure associée au Centre de recherche bretonne et celtique, Université de Bretagne Occidentale, Brest 18, rue Gambetta, 78120 Rambouillet Contact : griffin.kremer@wanadoo.fr

Résumé : La Société d’Ethnozootechnie a souvent joué un rôle important dans la reconnaissance de l’utilisation de l’énergie animale et a consacré plusieurs numéros d’Ethnozootechnie aux bovins. Engagée dans les efforts pour faire connaître et apprécier le travail avec les bœufs depuis plus d’une vingtaine d’années, je propose ici une esquisse de l’évolution et de l’actualité des bouviers en France et à l’étranger. Il s’agit surtout d’un long travail à multiples acteurs pour construire un réseau d’information qui a également alimenté un nombre considérable de rencontres et de publications. Mots-clés : travail avec les boeufs, bouviers, savoir-faire, races bovines, travail de réseau.

Working oxen, twenty years later – and tomorrow – A personal note. Summary: The Société d’Ethnozootechnie has often contributed to recognition of the use of animal power and dedicated several issues of Ethnozootechnie to bovines. Having been involved in the efforts to make working with cattle better known and more valued for over twenty years, I would like to propose a sketch of the development and current situation of oxdrivers in France and abroad. This has been a long cooperative work on the part of multiple actors to construct a network that provides information as well as underwriting a considerable number of colloquia and publications. Keywords: working cattle, oxdrivers, skills, cattle breeds, networking.

N.B. Les liens aux revues, sites/blogs Internet, fêtes, associations, institutions ou groupes de travail mentionnés sont indiqués dans la Bibliographie.

fête 2018 de la vache Nantaise (22)

Pierre Nabos et ses boeufs, Fête de la Vache Nantaise 2018. Photo Michel Nioulou

Entre 1995 et le début du XXIe siècle, il y a eu tout un florilège de numéros de la revue Ethnozootechnie consacrés aux bovins, de la transhumance au lait pour Paris, de la domestication au travail, ainsi que l’annonce de travaux importants comme l’inventaire des attelages par Laurent Avon en 2006 qui recensait 146 paires encore attelées en France. Pour certain/es Sociétaires, cette boucle était bouclée par un moment fort lors de la Fête de la Vache Nantaise en 2018 au champ dédié à la traction animale. Laurent nous y a rejoints pour voir le bouvier Philippe Kuhlmann, venu d’Alsace en tant qu’invité des organisateurs de la fête. Cela nous a donné l’occasion d’honorer le travail en faveur des bouviers et le recensement des attelages menés à bien par Laurent. Il a inspiré la continuation actuelle de cet attachement au travail avec les bœufs en France et bien au-delà (Avon 2006 ; travail continué par Lucie Markey). Laurent a aussi retrouvé des amis de longue date comme Nicole Bochet, elle-même apprentie-bouvière.

En 1997, la rencontre à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) organisée par Nicole Bochet, Jean-Maurice Duplan et François Sigaut, a donné lieu à la publication du n° 60 de la revue de la Société d’Ethnozootechnie « Les bœufs au travail », tout particulièrement dédié à François Juston, auteur en 1994 du manuel « Quand la corne arrachait tout ». Cet événement fut accueilli avec un tel enthousiasme qu’il a fallu en prévoir un « bis » à la Bergerie Nationale, cette fois organisé par Germain Dalin dans le cadre du Festival Animalier International de Rambouillet (F.A.I.R.) (Dalin, 1999). Olivier Courthiade, muletier, bouvier, responsable de maintes actions pour la reconnaissance des races de chevaux comme le Merens, assista aux deux rencontres. A Rambouillet, l’expert en matière d’attelage au Morvan, Philippe Berte-Langereau, a apporté une partie de sa collection de jougs. Outre ses publications (Berte-Langereau, 1996 ; 2000), il continue aujourd’hui encore à œuvrer pour la reconnaissance du travail avec les bovins. Avec Michel Nioulou, inventeur du blog pour l’attelage bovin, il propose de coordonner une enquête qui permettrait une vue synthétique de la diversité des attelages sur le territoire français métropolitain et d’outre-mer, à l’instar de celle sur le Portugal faite par F. Galhano et de B. Pereira (Berte-Langereau Enquête).

En 2006, la SEZ a de nouveau organisé une rencontre autour des « Bovins, de la domestication à l’élevage » (n°79 de la revue). Plusieurs communications concernaient la traction bovine, celle de Li Guoqiang pour la Chine, celle de la spécialiste de l’attelage slovène Inja Smerdel, centrée sur les relations humaines-bovines, et la mienne sur un témoignage ancien de transition du joug de tête au joug de garrot, étoffée plus tard pour une revue d’archéologie (Griffin-Kremer, 2010a). L’année 2006 était riche pour la traction bovine. Le colloque du 23-24 octobre 2006 sur « Traction Animale et briolage », organisée par Germain Dalin, fondateur du F.A.I.R., la SEZ, la Bergerie Nationale et Jean-Pierre Bertrand de l’Association de Recherche et d’Expression pour la Culture Populaire en Vendée (Arexpco), a accueilli des bouviers vendéens, des « brioleurs » tels Mic Baudimant des Thiaulins de Lignières, le bouvier alsacien Philippe Kuhlmann et le maître cocher Jean-Louis Cannelle, entre autres (Griffin-Kremer, 2006a). La rencontre était fructueuse autant par la convivialité que par les divergences qu’elle a permis de mettre à jour, y compris une anecdote bien révélatrice. La Bergerie avait assuré un triple passage (presque « homérique », pourrait-on dire…) du champ de labour avec un tracteur pour faciliter le travail des bouviers et des brioleurs. Trop facile pour être tout à fait « vrai », selon Jean-Louis Cannelle, qui a tenu à montrer au public qu’une démonstration n’équivaut pas travail réel, en ouvrant une raie « vraie » dans le gazon à côté avec son cheval de trait. Arrivé au bout d’une seule longue raie, Cannelle et son cheval étaient tous deux en nage, et il a invité les spectateurs à toucher le soc de la charrue. Tous ont retiré la main, surpris par l’intense chaleur qui s’en dégageait (Griffin-Kremer, 2007, photo). Cela n’enlevait rien au travail des laboureurs venus de la Vendée. Philippe Kuhlmann jugeait leurs labours « très propres », marque évidente d’estime de la part d’un pair hors-pair (ibid. et Griffin-Kremer, 2006b). L’Arexcpo et divers collaborateurs ont poursuivi ce projet par la suite lors d’un colloque qui a donné lieu à la publication d’un volume remarquable auquel le Professeur Bernard Denis a apporté une contribution – 399 pages et un DVD de chants enregistrés, du Berry au Cambodge en passant par l’Afrique (Le chant en plein air…).

Toujours sur ce sujet de la voix, c’est encore la SEZ qui en 2008 a accueilli une journée d’étude consacrée à « L’homme et l’animal : voix, sons, musique… » (n°84 de la revue). Plusieurs contributions touchaient directement à la question de comment manier les bovins au travail ou racontaient leurs charmes : celle du bouvier Philippe Kuhlmann pour l’Alsace, Inja Smerdel pour la Slovénie, Cozette Griffin-Kremer pour les cultures « celtiques » des Îles Britanniques. Germain Dalin y a évoqué ses propres aventures de « relations » avec les taureaux lors de son travail sur l’insémination artificielle et – pour ne pas être injuste envers les chevaux de trait – Henri Baron nous a époustouflés (le mot n’est pas trop fort) avec son évocation des commandes et surtout la démonstration en plein amphithéâtre de l’Académie de l’Agriculture du claquement de son fouet en micocoulier. Par ailleurs, l’article sur le grincement des chars au Portugal par Mouette Barboff était accompagné d’une photo impressionnante de transport de seigle par des attelages de bœufs, menés par des femmes. Les travaux d’ethnologues recèlent de trésors sur les pratiques et les croyances liées aux bœufs (un seul exemple, Méchin, 2010), spécifiques à tel ou tel terroir, sujet vastissime.

Revenons un peu en arrière dans notre chronologie pour évoquer un grand acteur de la traction bovine – l’Écomusée d’Alsace. En pleine crise d’existence de l’Écomusée en 2006-2007, François Kiesler, chargé du programme de l’agriculture, et le bouvier Philippe Kuhlmann ont malgré tout accueilli la rencontre des Ethnozootechnie  Bouviers d’Alsace (Simon, 2007), à laquelle ont participé des spécialistes de la traction chevaline comme Jean-Louis Cannelle du Centre Européen de Ressources et de Recherches en Traction animale (CERRTA) ou Pit Schlechter de la Fédération Européenne du Cheval de Trait pour la promotion de son Utilisation (FECTU). Ces rencontres se sont poursuivies chaque année depuis et ont vite attiré l’attention de participants étrangers – luxembourgeois, belges, britanniques, suisses, et surtout, bon voisinage oblige, de nombreux allemands. Depuis le début, Philippe Kuhlmann a littéralement fait le pont entre Français et Allemands à travers des réunions dans les deux pays, aujourd’hui renforcées par l’accueil de stages de formation de bouviers deux fois par an au sein de l’Ecomusée d’Alsace. Certes, ce n’est pas le seul exemple de formations – le CFPPA de Montmorillon (Coti, 2014), tout comme des privés comme Olivier Courthiade ou Emmanuel Fleurentdidier, en ont proposées – mais c’est sans doute celle avec l’histoire la plus riche et le rayonnement le plus durable.

Une tradition inventée de l’autre côté du Rhin lui fait écho, puisque les bouviers attachés aux spécificités et aux plaisirs de l’attelage allemand tiennent eux aussi une réunion annuelle depuis 1998. C’est une initiative particulièrement réussie de l’avis de tous, à cause d’une organisation aussi efficace que détendue et simple – trouver un hôte (les candidats ne manquent pas), donner une date fin janvier ou début février lorsque les gens de musées sont plus libres, et voir qui vient, une vingtaine au début, une soixantaine aujourd’hui. En 2020, c’est au tour d’un musée de plein air près de Hambourg, le Museumsdorf Volksdorf, d’accueillir le groupe. Au fil des ans, les rencontres allemandes, avec un saut « à l’étranger » en 2019 en Autriche, ont eu lieu en alternance, chez des privés ou dans des musées de tailles et de vocation variées, souvent dans d’immenses sites tels le musée de plein air à Kommern ou la ferme urbaine du Domaine de Dalhem à Berlin, ou au plus rural Laboratoire de plein-air Lauresham à Kloster Lorsch, abbaye médiévale désignée patrimoine mondial par l’UNESCO, dans le Land de Hessen.

Toutes ces réunions, alsaciennes et allemandes, ont fait l’objet d’articles dans la revue Sabots. Son éditeur, François Durand, propose depuis des années un « coin des bouviers » où trouver des rapports sur d’autres rencontres en France, des témoignages de meneurs comme Olivier Courthiade, Philippe Kuhlmann, Emmanuel Fleurentdidier, entre bien d’autres, ou de jougtiers comme René Alibert et son disciple, Lionel Rouanet (ne pas oublier que le « pilote » du blog des bouviers, Michel Nioulou, est aussi jougtier à ses heures). Aujourd’hui, les informations qui paraissent régulièrement dans les pages de Sabots sont relayées par le blog mis en route par Michel : « Attelage Bovins d’Aujourd’hui ». Ces informations sont diffusées régulièrement par le site Internet des Allemands et par des articles en anglais vers les bouviers du monde anglo-saxon, de l’Angleterre à l’Amérique du Nord jusqu’en Australie (Griffin-Kremer, 2012, 2014, 2018).

Pour les évènements valorisant la traction bovine en France, la Fête de la Vache Nantaise, tant prisée depuis ses débuts par Laurent Avon, soutenue par Bernard Denis et des sociétaires divers, a connu en 2018 un point culminant avec la « grande attelée » – la participation simultanée de cinq attelages, qui travaillaient en face d’un champ dédié au débardage avec des chevaux. Évidemment, la mission de la Fête de la Vache Nantaise est de valoriser et de promouvoir celle-ci, mais les organisateurs font aussi connaître d’autres races au sein du « Village des races locales » et prévoient à chaque fête un « invité d’honneur ». En 2018, c’était le porc basque, venu avec un cortège d’éleveurs, de musiciens et de chefs, car la cuisine est parmi les attractions les plus prisées. Cette manifestation de 2018 a aussi rendu hommage au photographe Jean-Léo Dugast, spécialiste des chevaux percherons, grand connaisseur des Horse Progress Days aux États-Unis, qui fait des recherches en tant qu’historien (Dugast, 2019). Il garde aussi un « coin » dans son cœur pour la traction bovine et ses photos prêtent un cachet exceptionnel aux pages de Sabots. Par ailleurs, Sabots ne néglige pas les documents d’archives et fait appel à des auteurs comme Eric Rousseaux ou Étienne Petitclerc pour donner un aperçu sur le passé de la traction animale, sur les relations ville-campagne ou sur les transports par attelages bovins. Étienne a profité de sa collection personnelle de documents photographiques et de dessins pour écrire un compendium détaillé sur les véhicules qui s’appelle « Attelées ! » (Petitclerc, 2016).

Au fil des ans, un réseau international s’est ainsi tissé. Très tôt, l’activité des bouviers allemands, comme l’implication professionnelle de leur « pilote » dans la sauvegarde des races à petits effectifs dans l’Union Européenne, a attiré l’attention d’un expert en matière de traction animale britannique, Paul Starkey, riche de toute une carrière consacrée aux enquêtes pour la FAO et autres organisations internationales (Starkey, 1994 et site « Starkey »). En 2004, il a invité Jörg Bremond, chef informel du groupe allemand et moi-même à rencontrer divers acteurs du travail avec des animaux de trait et de la recherche sur les équipements à Silsoe, Angleterre, dans le cadre de la réunion de la Transport Animal Welfare Society (TAWS), animée surtout par des vétérinaires soucieux de favoriser le bien-être  humain en promouvant celui des animaux de travail dans les pays du « Sud » (TAWS, 2004), tout comme les « développeurs » français, qui ont fourni des documents et accumulé une expérience remarquable en matière de traction animale (Lhoste et al., 2010). Pour renvoyer l’ascenseur, Olivier Courthiade a consenti à proposer avec moi, au pied levé, une rencontre chez lui, à Méras, en Ariège (GriffinKremer, 2005), à l’automne de la même année pour accueillir les Anglais Starkey et le directeur du Musée de Plein-Air Weald & Downland, Richard Harris, avec les Allemands, dont le spécialiste du développement dans le « Sud » et du collier à trois points Rolf Minhorst (2005, 2008), Jörg Bremond et le bouvier du Musée de Plein-Air de la Rhénanie, Gerd Linden. François Sigaut, connu de tous à la SEZ, Mouette Barboff, ethnologue spécialiste du Portugal, et moi-même avons fait le voyage à Méras, pour y être rejoints par Laurent Avon et le neveu de François, Jacques Holtz.

La même année 2004, lors de la réunion annuelle de la Société pour l’Étude des Traditions Populaires (SFLS Society for Folk Life Studies) que j’ai co-organisée avec Fañch Postic, collègue au Centre de recherche bretonne et celtique, Brest (CRBC), Inja Smerdel, alors Directrice du Musée Ethnographique Slovène, est venue parler du patrimoine immatériel, dont le savoir-faire des bouviers auquel elle a plus tard consacré un article en anglais (Smerdel, 2013). François Sigaut a présenté ses interrogations sur les façons diverses de labours, sujet qui a fait couler des lacs d’encre tout au long des études rurales en Europe et au-delà. Ensuite, l’équipe de recherche de François (EHESS/CNAM) a suivi avec attention – et attendrissement – l’évolution de ses rencontres avec les agriculteurs de la région nantaise qui ont précédé l’exposition « Des hommes et des charrues ». Attendrissement, parce que c’est la seule fois que nous avons entendu François avouer franchement être ravi qu’on le contredise, et avec ferveur, puisque certains agriculteurs lui ont dit simplement, « mais, non, Monsieur Sigaut, ce n’est pas du tout comme ça qu’on faisait ». François en est revenu ébloui, et heureux. Ces rencontres en pays nantais ont abouti au colloque « Techniques de travail de la terre, hier et aujourd’hui, ici et là-bas » co-organisé par René Bourrigaud et François en 2006, suivi de la publication « Nous Labourons » (Bourrigaud et Sigaut, 2007). Le colloque a attiré des spécialistes de l’agriculture de l’Antiquité égyptienne ou de l’Asie actuelle, d’autres pays européens, des pays du « Sud », tout comme des experts sur les régions françaises et le vocabulaire des parlers locaux. Lors du colloque, Inja Smerdel nous a raconté une allégorie populaire slovène qui a inspiré par la suite le titre de la publication : « Pendant le labourage d’un champ, une mouche se pose sur la corne du bœuf. A sa camarade qui en passant lui demande ce qu’elle peut bien faire là, elle répond : « Nous labourons ».

L’implication à l’international des Européens a été renforcée en 2006 par l’invitation adressée à Jörg Bremond et à moi d’intervenir lors du colloque sur le travail avec des bovins au musée de Colonial Williamsburg, Virginie (USA), fenêtre majeure sur l’énergie animale, tout près de la capitale américaine. C’est aussi durant ces années que les choses prennent une tournure internationale encore plus fructueuse… Le directeur du Musée National de l’Agriculture et des Industries Alimentaires de Pologne, à Szreniawa près de Poznan, le Dr. Jan Maćkowiak, avait déjà un vif intérêt pour un passé « disparu » dans son pays – l’utilisation des bœufs en Pologne, où l’on racontait qu’il n’y avait que des chevaux, affirmation que les enquêtes du musée sur l’art et les documents historiques avait démentie. Lors de la réunion de l’AIMA (Association internationale des musées d’agriculture) à Novi Sad, Kulpin, Serbie, il a entendu ma communication sur le travail avec les bovins et le patrimoine immatériel (Griffin-Kremer, 2008), et les choses se sont emballées – il invite Allemands, Américains, Britanniques, Estoniens, Français, Hongrois, Tchèques et Roumains à assister au colloque « Mission et options pour le développement des musées d’agriculture dans le monde contemporain » dont le thème principal était l’utilisation de l’énergie animale (Griffin-Kremer, 2010b). Le vif intérêt des Polonais pour la traction bovine les a amenés à embaucher un bouvier roumain pour assurer l’utilisation des bœufs de travail à la ferme du musée. Par la suite, ils ont envoyé une équipe de cinq personnes pour accompagner leur zootechnicien en visite d’étude à la ferme du Domaine de Dahlem à Berlin, aux grands musées de plein-air à Detmold et à Lindlar en Westphalie, et à Kommern en Rhénanie, pour finir la tournée à l’Écomusée d’Alsace en France, où ils ont rencontré le Prof. Bernard Denis (Nowakowska et Wołoszyński, 2012).

Ces échanges sur la traction bovine ont renforcé les liens entre les anciens membres de l’AIMA, et ont accompagné, à travers plusieurs réunions en Pologne, en Normandie et en Écosse, une relance importante de l’association, à partir de 2008-2012. Depuis, nous avons pu assurer la mise en place d’un site Internet, le lancement d’un bulletin, l’AIMA Newsletter et, aujourd’hui, un blog régulier diffusé aux membres et aux amis. Le « fil » actuel du blog traite d’un « bétail » particulier, les abeilles, et se révèle très fructueux (AIMA Blog). La relance de l’AIMA a surtout impliqué un travail intense de réseau avec des associations amies, telles l’ALHFAM nord-américain (Association of Living History, Farming and Agriculture Museums), la SFLS (Society for Folk Life Studies), hôte d’une réunion cruciale pour la relance de l’AIMA en Écosse, l’EXARC (l’Association des musées d’archéologie expérimentale). Ce « consortium » de partenaires, et la détentrice des droits, Dr. Grith Lerche, ont réussi en 2019 à mener à bien un projet phare pour l’histoire et l’anthropologie de l’agriculture : la mise en ligne sous la houlette de l’Université de Heidelberg, de la revue Tools & Tillage dans la banque de données HEIDI (Tools & Tillage). « T&T », comme l’appelaient affectueusement ses lecteurs, regorge d’articles sur les outils de labours, comme sur les observations et les expérimentations sur la traction animale, surtout bovine. La boucle ne se referme pas, mais se poursuit, grâce à l’enquête qui sera bientôt lancée par Claus Kropp (Membre pour l’Allemagne à l’AIMA) sur l’utilisation des bœufs de travail dans les musées.

Par ces temps de crise sanitaire, la réunion annuelle en Alsace à l’Ascension, tout comme la formation proposée par Philippe Kuhlmann en mars 2020, ont été annulées, mais Claus Kropp, aidé par le savoir très « technologique » d’EXARC, a réussi à tenir un congrès entièrement numérique le 9-10 mai 2020 sur « l’Expérience de l’expérimentation archéologique », durant lequel il y a eu deux séances sur le dressage et la formation en traction bovine à son musée. Plus de 400 personnes, de l’Allemagne à l’Australie, ont participé en virtuel. Exemple du travail de réseau entre ces associations : Claus était invité à participer au 50e réunion-anniversaire de l’ALHFAM aux États-Unis cet été, annulée mais passée en numérique les 22-26 juin. Il y aurait rencontré de nombreux acteurs de la traction chevaline et bovine d’Amérique du Nord, tels les grands musées comme le Colonial Williamsburg, des musées d’histoire vivante comme Howell Living History Farm, l’association pour la formation en traction animale pour les « small farmers » de partout dans le monde, Tillers International au Michigan (USA), ou les participants venus de la Livestock Conservancy, qui promeuvent les races à petits effectifs ou menacées.

Heureusement, en attendant que les rencontres « en vrai » reprennent, il y a des croisements de fils fructueux entre les experts et la documentation de leurs pratiques. Grâce à la FECTU (Fédération des chevaux de trait pour leur utilisation), la vénérable revue Draft Animal News a pu reprendre et Rural Heritage continue à publier la revue du même nom, consacrée à l’utilisation de la traction animale dans le cadre d’agricultures et d’élevages à modeste échelle. Le maître-bouvier américain et professeur d’université Drew Conroy poursuit son enseignement et les publications qui visent les bouviers de par le monde. Du côté français, l’Écomusée d’Alsace soutient Philippe Kuhlmann pour la rédaction de son manuel, appuyé par la riche documentation de l’EMA, et Olivier Courthiade a depuis longtemps promis de réunir ses nombreux écrits sur l’attelage bovin dans un volume technique, comparable à son ouvrage sur le dressage des mules et mulets. Au sein du groupe allemand (Arbeitsgruppe Rinderanspannung), le site est déjà enrichi par une photothèque de jougs et de harnachements ainsi que d’une bibliographie de référence. Chef de ferme au Musée de Plein-Air du Domaine de Dahlem à Berlin, Astrid Masson, a publié un livre remarquable sur le dressage des bovins dans le cadre d’une exploitation agricole soumise aux contraintes d’un site urbain ouvert (Masson, 2015). Y figurent des chapitres écrits par Rolf Minhorst, le spécialiste du collier à trois points prisé par les Allemands pour son efficacité au travail autant que pour ses qualités reconnues de confort pour les animaux, et par la spécialiste d’éthologie bovine, Anne Wiltafsky, inventrice d’une « Kuhschule » (École de et à Vaches). Astrid Masson est également membre du Conseil d’Administration du GEH (Gesellschaft für Erhaltung alter und gefährdeter Haustierrassen), l’association allemande qui réunit les acteurs pour la sauvegarde et la promotion des races domestiques anciennes et menacées. Il faut noter que bon nombre des bouviers allemands ou français sont des bouvières – Astrid, Anne, la vétérinaire Elke Treitinger « pilote » du site Internet allemand, Christine Arbeit de la Fête de la Vache Nantaise et sa fille Mélusine, ou Elvire Caspar, petite-fille de François Juston, parmi bien d’autres. Avec son enthousiasme bien connu, Nicole Bochet de la SEZ a assisté à la formation à la traction bovine proposée par Manu Fleurentdidier au CFPPR de Montmorillon et assiste depuis des années à la réunion des bouviers à l’Écomusée d’Alsace. Parmi les participants aux réunions à l’EMA ou en Allemagne, la répartition entre femmes et hommes est égale et plusieurs couples mènent des bœufs ensemble.

Les musées et associations citées ici s’impliquent évidemment en faveur de la conservation et de la promotion des races de leurs régions, que ce soient des chiens « bouviers » ou des bovins. Ils répondent au vif intérêt du public pour le travail avec les animaux dans les musées d’histoire vivante, les écomusées ou de plein-air, ou les musées d’archéologie expérimentale. Ils se concertent aussi avec les autres acteurs de la traction animale pour les exploitations de taille modeste, tel le maraîchage, souvent en situation périurbaine, et invitent régulièrement les nombreux développeurs d’équipements tels le français PROMMATA, qui opèrent au niveau international. Il va sans dire que les équipementiers sont bien représentés lors des Fêtes de la Vache Nantaise tous les quatre ans.

Ces passionnés signalent cependant le manque de reconnaissance chez les acteurs plus « institutionnels » des enjeux de la traction animale qui pourrait favoriser une transition vers des sources d’énergie renouvelables, vers une production agricole plus « circulaire ». La traction bovine, ne pourrait-elle pas aider à rentrer dans les confins vertueux du fameux « donut » (Raworth, 2017, 2018) prôné aujourd’hui même par les mandarins de la grande finance, tel Jamie Dimon de la Banque J.P. Morgan Chase ? (Tisdall, 2020 ; Linnane, 2020) Le volume phare de l’UNCTAD Wake up before it is too late, Make agriculture truly sustainable now for food security in a changing world porte sur sa couverture la photo d’un agriculteur qui utilise un attelage de bovins pour labourer son champ. Le livre ne contient cependant aucun chapitre consacré à l’utilisation de l’énergie animale. MOND’Alim 2030, Panorama prospectif de la mondialisation des systèmes alimentaires (2017) consacre une seule page à « ces acteurs de la mondialisation agricole et alimentaire que l’on n’invite jamais », mais il s’agit en l’occurrence de narcotrafiquants et de terroristes qui s’emparent des terres, des transports et des stocks d’aliments dans des pays souvent encore riches d’une agriculture paysanne (MOND’ALIM 2030, 2017).

Si les bouviers allemands, pour la plupart des « Hobbybauer » (paysans amateurs), avouent que leurs bêtes dans l’ensemble ne sont plus adaptées à un travail exigeant, ils poursuivent l’expérimentation avec des races telles la Rätisches Grauvieh (Grise rhétique), petite et trapue, qui ressemblent aux bovins des livres d’enluminures du Moyen Âge. Ils s’accordent à dire qu’il n’y a aucun éleveur en Allemagne comme Philippe Kuhlmann en Alsace qui vise à produire des bêtes aptes à la production laitière aussi bien qu’à l’utilisation au travail. D’ailleurs, les bovins sont la seule source pour la traction et le débardage sur son exploitation. 

fête 2018 de la vache Nantaise (84)

La « grande attelée » pour la fin de la Fête de la Vache Nantaise 2018. Photo Michel Nioulou.

Il y a vingt ans, Nicole Bochet et moi-même avons évoqué l’idée de faire comme les Japonais et leurs imitateurs ailleurs dans le monde : obtenir un statut de « trésors nationaux vivants » pour les experts bouviers. C’était sans doute peu réaliste, mais nous avons posé la question à Olivier Courthiade, aussi Sociétaire, il y a quelques années. Il nous a répondu de sa façon habituelle : « Je m’en fiche de trésors, il faut nous soutenir pour amener plus de travail, c’est ça qui compte, le travail ». Depuis plus de vingt ans, j’ai le privilège de connaître et d’apprendre de gens qui utilisent les bovins dans le travail des musées, pour les loisirs et sur des exploitations où les bœufs ou les vaches sont la principale force motrice. J’ai pu constater le nombre de jeunes qui souhaitent s’installer en agriculture « bio » à économie circulaire, et qui ont pris conscience du plaisir qui peut exister entre un être humain et une bête de travail. À l’instar du programme agricole de l’Écomusée d’Alsace, ils cherchent comment « atteler » la sagesse et la diversité de pratiques traditionnelles aux besoins réels de production (Griffin-Kremer, 2020). Aujourd’hui, suite à une crise qui a renforcé l’intérêt pour les circuits courts de l’approvisionnement alimentaire, je pense qu’il est temps de revoir la copie et d’explorer plus sérieusement le potentiel de l’utilisation de la traction bovine, entre autres.

Les rencontres et les publications de la Société d’Ethnozootechnie qui traitent du « bœuf au travail » remontent bien avant les années 2000. Ne serait-ce pas le moment de revenir à ces questions sur un niveau plus international ? Nicole Bochet et moi-même, nous proposons d’inclure la SEZ parmi les invités lors d’une telle rencontre. Ce serait une occasion de réunir les acteurs cités ici, d’en inviter d’autres, et de remercier la Société pour ses engagements si souvent clairvoyants et courageux. De pouvoir poser la question aussi : une vache ou un bœuf de travail, bref, l’énergie animale, ne rentrent-ils pas facilement dans le fameux « donut » qui ose envisager une autre économie pour le XXIe siècle ? (Raworth, 2017, 2018).

N.B. Ce texte étant bien une « note personnelle », il y a forcément des omissions et des oublis. Que les personnes concernées m’en pardonnent et je ferai mieux une autre fois.

Références

Note : tous les liens Internet cités étaient accessibles le 15 juin 2020

AIMA (Association international des musées d’agriculture) page d’accueil https://www.agriculturalmuseums.org/, bulletins https://www.agriculturalmuseums.org/news-2/aima-newsletters/ et blog https://www.agriculturalmuseums.org/newsevents/news/

ALHFAM (Association of Living History, Farming and Agricultural Museums) https://alhfam.org/ Arbeitsgruppe Rinderanspannung https://www.zugrinder.de/de/ (DE) et German Working Cattle Group https://www.zugrinder.de/en/ (EN)

Attelages bovins d’aujourd’hui, blog : http://attelagesbovinsdaujourdhui.unblog.fr/

AVON (L.), 2006, Traction bovine, inventaire des attelages 2006, Institut de l’élevage. Travail continué par Lucie Markey.

BERTE-LANGEREAU (P.), 1996, Les Galvachers & Charretiers du Morvan, Éditions Nourrices du Morvan, 1996, ou 2000 Le Temps des Attelages, même éditeur.

BERTE-LANGEREAU (P.), Enquête « Propositions concernant les jougs » sur le blog de Michel Nioulou « Attelages bovins d’aujourd’hui » : http://attelagesbovinsdaujourdhui.unblog.fr/2020/04/29/projet-douvrage-sur-les-jougs-de-franceappel-a-contribution-par-philippe-berte-langereau/

BOURRIGAUD (R.) et SIGAUT (F.) (dir.), 2007, Nous Labourons. Actes du colloque « Techniques de travail de la terre, hier et aujourd’hui, ici et là-bas » Nantes, Nozay, Châteaubriant, 25-28 octobre 2006, Editions du Centre d’histoire du travail, Nantes, 2007.

CERRTA (Centre Européen de Ressources et de Recherches en Traction Animale) https://www.formationtractionanimale.com/

Colonial Williamsburg (museum) https://www.colonialwilliamsburg.org/

CONROY (D.), 2008, Oxen: A Teamster’s Guide to Raising, Training, Driving & Showing, 2008; enseignement à l’Université de New Hampshire https://colsa.unh.edu/person/andrew-conroy

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The Livestock Conservancy https://livestockconservancy.org/

Tillers International https://www.tillersinternational.org/ 

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UNCTAD, 2013, Wake up before it is too late, Make agriculture truly sustainable now for food security in a changing world. UNCTAD United Nations Conference on Trade and Development, Trade and Environment Review 2013, 321 pages, aussi disponible en ligne : https://unctad.org/en/pages/PublicationWebflyer.aspx?publicationid=666#:~:text=TER13%2C%20entitled%20Wake%20u p%20Before,released%20on%2018%20September%202013.&text=By%20way%20of%20illustration%2C%20food,for%2 0the%20period%202003%2D2008.

WILTAFSKY (A.), Pour un aperçu du travail d’Anne Wiltafsky https://www.zugrinder.de/en/ (2 minutes) ou https://www.youtube.com/watch?v=rd2ZICFB2Hg (26 minutes, synchronisé en français), mènent à d’autres liens à la « Kuhschule » sur YouTube

Taille d’un joug Vendéen de A à Z en vidéo

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Voici les vidéos de la taille d’un joug Vendéen en frêne chez Michel Nioulou, automne 2021.

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Jougs, contre jougs, le catalogue de l’exposition (1993/1994), Ecomusée de Savigny-le-Temple (77)

11ème rencontre des bouviers

En 1993-1994, l’Ecomusée de Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) présentait l’exposition « Jougs, contre Jougs ».Cette exposition était une initiative de l’AFMA (Fédération des Musées d’Agriculture et du Patrimoine Rural), du musée national des Arts et Traditions populaires, avec le CNRS et bien-sûr de l’Ecomusée de Savigny-le-Temple, pour son financement.

« Cent jougs des provinces de France » étaient proposés à la découverte des visiteurs mettant en valeur leurs variations typologiques et les travaux effectués par les bovins ainsi attelés. Les jougs provenaient des collections du musée national des ATP mais aussi de très nombreux musées ruraux à travers la France.

Depuis lors, aucune exposition de cette importance n’a été réalisée. Le musée national des ATP a reçu le legs de la très importante collection de jougs rassemblée par Jacques Leclerc et est devenu, en 2013, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem). L’Ecomusée de Savigny-le-Temple a été dissout et ses collections en partie conservées aujourd’hui au musée départemental de Seine-et-Marne à Saint-Cyr-sur-Morin.

En accord avec les organisateurs et notamment Edouard de Laubrie, à cette époque commissaire-adjoint de l’exposition et aujourd’hui responsable du pôle « agriculture & alimentation » au Mucem et par le biais de Pierre Del Porto, Président de l’AFMA qui en a réalisé la copie, vous trouverez le fac-similé du catalogue de cette exposition, présenté ici en deux parties.

Un grand merci à tous ces acteurs, de permettre de partager ce document qui, sans eux, serait resté confidentiel et oublié.

Pour les découvrir, cliquez sur les liens ci-dessous:

fichier pdf Jougs, contre Jougs 1993 Part 1

fichier pdf Jougs, contre Jougs 1993 Part 2

RÉQUISITION DE BOEUFS EN PAYS CLUNYSOIS PENDANT LA REVOLUTION FRANCAISE, par Maroussia Laforêt

Une histoire de bœufs et de bouviers…

Voici un document qui peut intéresser les amateurs d’animaux de trait et d’attelages.

Venu directement de la fin du XVIII° s., le passage que je vous propose est à la fois anodin et fugitif : quelques mots cachés au cœur de deux délibérations de la ville de Cluny datées de 1795, simples compte-rendus des conseils municipaux de l’époque, qui nous en apprennent finalement beaucoup de la vie quotidienne en Bourgogne du Sud, et plus particulièrement dans le Clunysois il y a plus de deux siècles.

La langue française de 1795 a été conservée dans la transcription (p. 1 à 3), qui reste lisible quoique parfois surprenante question orthographe et ponctuation.

Les passages surlignés en gras font directement allusion à la réquisition des bœufs.

Première délibération : « Boeufs » – feuillet 129

25 nivose an III de la République GUICHARD maire PONIEL LAROCHE ADNOT, MUTIN GUILLEMIN officiers municipeaux, DEBEAUX DUTTRION BARBET FERRIERE PETITJEAN PERRIER et PIRET notables ont paru à la maizon commune […]

boeufs cluny maroussia image 1

De suite un membre a observé qu’à l’exécution de l’arreté du departement du sept du présent mois, et celui du district du dix-sept, on devait […faire la repartition des quatorze bœufs et cinq bouviers qui doivent être levés dans notre canton. Les dits bœufs nantis de deux jougs chaque paire que cette répartition devoit être faitte dans le vingt-quatre heures sont ensuite à se concerter pour le tout avec les officiers municipaux de tout le canton sur les différentes mezures qui pourraient entraver cette operation nottament sur la fourniture de cinq bouviers et qu’en même tem il falloit nommer un expert qui serait chargé de faire l’estimation des dits bœufs et harnais conjoinctement avec celuy du district et un de la part du propriétaire des bœufs sur quoy déliberant le cytoyen MUTIN faizant les fonctions d’agent national en l’absence du cytoyen CHARLES entendu il a été arrété que la repartition des dits quatorze bœufs demeuroit faitte ainsy que suit cluny en fournira deux Pont sur Grosne Mazille Bergesserin et Curtil deux Donzy le National Buffiere et Garde deux Lavineuze Massy deux Cortambert Blanot et Donzy le Pertuis deux Jallogny et Chateau deux et Lournand deux en tout quatorze lesquelles communes seront tenues de faire les dittes fournitures

boeufs cluny maroussia image 2

le plutot possible chaque paire de bœuf ayant deux jougs garnis de leurs agrais pour le trait en telle sorte qu’ils puissent être rendu au chef lieu c’est adire à cluny dans la 8ne [huitaine] de la notiffication qui leurs sera faitte de la prezente déliberation et être estimé par le citoyen DUMONT ainsi que la commune nomme pour expert conjointement avec celuy du district et celuy quil plaira au propriétaire de choizir en prézence de deux officiers municipaux qui dresseront procès verbal de cette operation et de suitte il sera tiré mandat sur le receveur du district pour obtenir payement lequel mandat sur le viza du district sera de faitte acquitté et ont tous les membres

signé la prezente ledit jour étan.

Suivent les signatures du maire, des officiers municipaux et des notables de la ville de Cluny

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Seconde délibération : « Procès verbal réglé contre les communes qui nont pas fourni leurs contingents de bœufs » – Feuillets 131 et 132

Aujourd’hui 14 pluviose an III, sur les cinq […] de relevées nous maire et officiers municipaux de la commune de cluny nommés par l’arrêtte du district de macon du 27 nivose pour faire la repartition entre les communes de ce canton du contingents des bœufs jougs et bouviers qu’elles étaient dans le cas de fournir d’après larrête du Comité de Salut public du 19 brumaire dernier le dit contingent déterminé pour notre canton à une quantité de quatorze bœufs par autre arrêtté du district du 17 nivose, nous maire et officiers municipaux après avoir fait la repartition entre les dites communes le 25 dudit mois de nivose leur avait fait parvenir les ordres et instructions tendantes à leur faire fournir leur contingent chacune en cequi les concerne et leur avait a cet éffet de se trouver cejourdhuÿ et faire trouver leurs bœufs garnis de leurs jougs avec leurs propriétaires leurs experts pour conjointement avec REBOUX expert nommé par le district, et DUMONT ainé nommé de notre part faire l’estimation des dits bœufs et jougs et recevoir ensuite le montant de la dite estimation un mandat par nous signé par le receveur du district. La commune de cluny à fourni les deux céans [ici], celles de Blanot Cortambert et Donzy le Perthuis deux, celles de Lavineuse et Massy deux, quant aux autres communes aucunes non présenté ni donné leurs motifs à l’exception de Joseph DECHAISE de Donzy Lenational et qui sans être assisté d’officiers municipaux en droit ni de

boeufs cluny maroussia image 4

ceux des autres communes aux quelles il etait soumis en a présenté deux garnï d’un seul joug mauvais, lesquels dits bœufs ont été refusés par les experts REBOUX et DUMONT pour cause de deffectiosité dont et dutout nous commissaires cette part avons réglés le présent procès verbal du jour et au susdit troisième année républicaine et nous sommes soussignés avec les dits REBOUX et DUMON experts.

Suivent les signatures du maire, des experts, des officiers municipaux et des notables de la ville de Cluny 

Il s’agit de l’une des rares mentions concernant des bœufs dans les Délibérations Municipales D1 conservées aux Archives Municipales de Cluny. On est 1795, « année de la faim », en pleine tourmente révolutionnaire, pendant la Convention: les dates de ces deux délibérations, 25 nivose an III (janvier 1795) et 14 pluviose an III (février 1795), correspondent à une période de privations et de réquisitions pour les habitants de Cluny et des alentours.

« 14 paires de bœufs munis de jougs, deux paires par attelage, avec harnais et  agrais pour le trait ».

Très peu d’informations. Pas d’explication complémentaire. On aurait pu penser, à première lecture, que ces 14 bœufs, avec jougs, harnais et agrès (liens en cuir et/ou corde et anneaux de traction en cuir ou bois torsadé, appelés cordets dans la région) pouvaient être destinés aux labours. Or nous sommes en plein hiver, en janvier et février 1795, un froid exceptionnel s’installe dans tout le Clunysois : « La glace tient la Grosne et empêche le jeu des moulins qui sont arrêtés », et « les amas de neige couvrent l’horizon ». De plus, cette réquisition se fait en plus dans l’urgence. Il faut donc chercher une autre cause que celle d’un hypothétique travail agricole, car les sols sont gelés sur une belle épaisseur.

boeufs cluny maroussia image 5 Collect marie thérèse prost tous droits réservés

Collection M.-Thérèse PROST

Tous droits réservés

C’est dans le contexte de ces années révolutionnaires qu’il faut chercher une éventuelle explication. On a brûlé les terriers seigneuriaux sur la place de la Foire de Cluny en haut de la rue du Merle le 28 septembre 1793, et depuis cette date, la commune procède régulièrement à des réquisitions de subsistances, notamment de grains : « froment, orge, gesses (une légumineuse ressemblant aux pois), turquis (maïs) et seigle ». Dans l’hiver 1793-1794, on les entrepose dans l’église Notre-Dame, et ces céréales sont destinées à nourrir les indigents, environ 5% des 4 000 habitants de cette ville qui, fin XVIII° s., « sont dans une disette effroyable ».

En janvier 1794, le district de Mâcon exige des communes du canton de Cluny des grains, des légumes, de la paille et même « 21 bœufs gras et 4 vaches », ainsi que « tous les cochons tant morts que vifs ».

En mars suivant, on recense « tous les bœufs qui ne sont pas nécessaires à la culture ». La commune a ordre également de fournir du blé pour « les armées et la ville de Paris ».

Ces réquisitions rendues obligatoires par le Comité de Salut public, qui sont destinées à l’approvisionnement des armées et de Paris, sont mentionnées à plusieurs reprises, de façon d’autant plus insistante que nous sommes en hiver, on sait que la « soudure » sera difficile. Les grains se font rares, la crise économique s’installe et les prix augmentent. Les paysans évitent de vendre leur récolte, spéculant sur une éventuelle flambée des cours. Au printemps 1795, le marché de Cluny est vide. Aucun paysan des communes voisines ne vient proposer son grain. La crise de 1795 couvait en fait depuis un moment…

On peut donc penser que cette réquisition de 14 bœufs avec « deux jougs par paire avec harnais et agrès » semble avoir été ordonnée pour transporter les céréales réquisitionnées jusqu’à Mâcon, afin de répondre aux ordres du district et alimenter l’armée et Paris. L’opération ne doit rien au hasard : la répartition se fait par village, y compris la ville de Cluny qui fournit une paire de bœufs (en 1795, les 2/3 de la commune « sont couverts en bâtiments, vignes ou prés »), mais si la Grosne est gelée, la Saône doit l’être également, et les transports par voie fluviale sont sans doute compromis. L’hypothèse est d’autant plus vraisemblable qu’on adjoint à cette réquisition 5 bouviers, capables de mener les charrois.

L’opération est surveillée de près par des Commissaires aux Subsistances et des experts. Les propriétaires sont convoqués. Pour finir, trois paires de bœufs seulement sont livrées. Les communes défaillantes n’ont pas donné d’explications. On devine que les paysans traînent les pieds…

Dans ce contexte, Joseph DECHAISE, cité dans la seconde délibération, fait-il preuve de mauvaise volonté en ne fournissant qu’un seul joug ? N’a-t-il réellement qu’un « joug mauvais » à présenter, alors qu’il est propriétaire de son attelage et qu’il appartient à la catégorie la plus aisée des paysans, celle des laboureurs ?

La défection de plus de la moitié des communes et cette histoire de joug défectueux vont vraisemblablement dans le sens d’une résistance des communautés villageoises au printemps 1795, preuve que la situation se tend, prémisses d’une agitation populaire rurale mais aussi urbaine qui éclatera à la fin du printemps. Ainsi, en juin 1795, à Cluny, la municipalité interdit « le chant des Marseillais », les attroupements, et le tapage nocturne après minuit. Il y a même des patrouilles dans la ville pour garantir la sécurité publique de 7 h. du soir à 3 heures du matin.

Sources : Délibérations de la ville de Cluny

Archives Municipales – D1

27 juillet 1793 – 19 messidor an III

Maroussia LAFORET

Vidéo de louis GUIRAL Jougatier de Salles-Curan (12)

Voir le site « Occitan Aveyron » en cliquant ici.

Il y avait toutes sortes de petits métiers sédentaires ou ambulants comme le cordonnier appelé sudre ou pegòt, l’esclopièr (sabotier), lo jotièr (jougtier), lo barricaire (tonnelier), l’estamaire (étameur), l’amolaire, ganha-petit ou agusaire (rémouleur), le tailleur appelé sartre, lo cadièiraire (fabricant de chaises), lo candelaire (fabricant de chandelles), lo matalassièr ou matalassaire (fabricant de matelas), lo pelharòt ou pelhaire (chiffonnier)…

Pour fabriquer les jougs, on faisait appel à un jougtier : lo jotièr.

Habituellement, le jougtier venait sur place pour fabriquer les jougs sur mesure. Il fallait tenir compte de la taille des bêtes (bœufs ou vaches) ainsi que de leur morphologie.

La redonda est l’anneau, maintenu par une cheville (cavilha, ataladoira), qui reçoit le bout du timon (pèrga). Littéralement, redonda signifie ronde.

Las julhas sont les longes de cuir qui permettaient d’attacher le joug sur la tête des bêtes.

Le jougatier, fabricant de joug, article patrimoine sur le site Millavois.com

article jougatier millavois

Lionel Rouanet nous fait passer le lien de cet article consacré à un ancien fabricant de jougs Monsieur Louis Guiral de Bouloc à Salles-Curan (12).

Il vient de paraître sur le site Millavois.com.

Cliquez ici pour voir.

Merci à Lionel pour son envoi.

Patrimoine. Ces métiers disparus : le jougatier

Marc Parguel

Lecture 6 min.
A La Roque-Sainte-Marguerite, vers 1920.

Jougatier : fabricant de jougs. Un joug est une pièce de bois qui lie les animaux côte à côte.

Sait-on encore ce qu’est ou plutôt ce qu’était, un « jougatier » ? Le mot ne figure ni sur le Larousse ni sur le Petit Robert. Il serait certainement refusé au jeu des Chiffres et des Lettres.

C’est en effet un métier qui a presque totalement disparu puisque le jougatier était l’artisan qui fabriquait les jougs. Métier dont l’origine se perd dans la nuit des temps, mais qui n’existe plus depuis que le bœufs, trop lent pour notre siècle de vitesse, a fait place au tracteur.

jougatier 02Le plus ancien système serait le joug à cornes où une barre en bois était placée entre les cornes d’un bovidé.

J’ai eu pourtant le plaisir de rencontrer tout récemment un des derniers jougatiers de notre région, Monsieur Louis Guiral, de Bouloc. C’est lui qui a sculpté les derniers jougs dont nous avons eu besoin pour notre petite propriété de l’Hospitalet.

Accompagnée de mon fils j’ai passé l’après-midi chez lui ; et là, dans la bonne chaleur de sa cuisine- il faisait très froid dehors- il nous a parlé de son métier.

Ce métier, il l’a appris simplement en regardant travailler un autre jougatier. Pas besoin, à cette époque, d’un C.A.P. Mais il devait tenir de son père une aptitude particulière à ce travail, ce dernier, simple paysan, exécutant de remarquables sculptures sur bois.

Ses outils n’avaient rien de compliquer : la hache, l’herminette (hache à tranchant recourbé), la plane (lame tranchante à deux poignées) et une vrille ou tarière.

jougatier 03Labour d’automne (1922).

Les jougatiers étaient peu nombreux ; aussi leur activité s’exerçait parfois loin de chez eux. De Bouloc, où ils étaient deux, ils venaient jusqu’au Larzac, au causse Noir ou sur les terres de Saint-Affrique. Ils suivaient les foires de la région, rencontrant aussi leurs clients, et fixaient ensemble un jour déterminé. Monsieur Guiral se rendait à son travail à bicyclette. Venir de Bouloc à l’Hospitalet représentait un bon exercice ! Aussi tâchait-il de grouper ses commandes. En été, profitant au maximum de la durée du jour, il pouvait faire deux jougs dans la même journée. Il se rappelle avoir fait à l’Hospitalet onze jougs en une seule semaine.

Le premier travail était de choisir le bois. Il fallait une bille d’environ 1,40 m sur 0,50 de diamètre. Sur notre plateau, c’était le plus souvent de l’ormeau ou du frêne.

Ailleurs, c’était du hêtre ou même du noyer. Il lui est arrivé, sur le causse Noir, et à contrecœur, d’avoir utilisé du pin. L’essentiel était que le bois fût vert car il était plus facile à travailler. Parfois, il allait choisir lui-même l’arbre à couper.

Les deux bœufs étaient alors amenés et placés côte à côte, comme ils devaient être bons à l’attelage. Le jougatier après avoir dégrossi le bois à la hache procédait à des essayages. Travail délicat : le joug ne doit pas blesser la bête ; il doit s’adapter à la forme des cornes, particulières à chaque bœuf.

jougatier 04Bœufs sous le joug.

C’est en effet aux cornes que sera lié le joug à l’aide de deux longues courroies, les « juilles ». Le joug doit être très légèrement arqué- c’est imperceptible à l’œil non averti, pour que chaque bœuf, ayant la tête légèrement tournée vers le centre, puisse voir son compagnon de travail. Ainsi, après des essais de fines retouches, un polissage le joug est terminé. Alors le jougatier le signait à l’aide d’un poinçon à son nom, imprimé par un bon coup de marteau. Ultime travail : il allumait un feu de branches et d’éclats et passait rapidement le joug à travers la flamme afin de durcir le bois trop vert.

Dans le Languedoc le travail de la vigne s’effectuait avec des chevaux. Mais pendant la cruelle période de 1940 à 1945, la nourriture des chevaux devint si difficile à assurer que certains propriétaires ont eu recours au bœuf, plus rustique que le cheval- pour labourer les vignes. Il a donc fallu sculpter des jougs pour un seul animal. C’est ainsi que Monsieur Guiral nous a fait deux jougs pour les bœufs que nous avons utilisés sur quelques vignes du Midi. L’autre jour il nous rappelait qu’il avait même imaginé, à la demande d’un ami, un joug très large, permettant aux bœufs d’avancer dans la vigne, séparés par une rangée de souches. C’est le principe adapté plus tard par le tracteur-vigneron.

Le jougatier était reçu cordialement par le propriétaire chez qui lui venait travailler. Il y trouvait toujours le gîte et le couvert. Et quand il était d’humeur joyeuse, il chantait.

Texte de Marthe Bergonier,
paru dans la revue « Le Caussenard » n°16,
janvier-février mars 1986 »

Taille d’un joug Charollais, toutes les étapes en vidéo

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Nous vous proposons une suite de quatre vidéos consacrées à la taille d’un joug d’attelage depuis la bille équarrie jusqu’au joug terminé.

Haches, herminettes et planes sont les principaux outils utilisés pour tailler un joug d’attelage sans interventions d’outils mécaniques.

Il s’agit là d’un modèle Charollais dit « découpé » réalisé par Michel Nioulou.

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La traction animale par Philippe Lhoste, Michel Havard, Éric Vall

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L’utilisation de l’énergie animale est toujours d’actualité dans nombre de pays en développement où les petits agriculteurs travaillent encore beaucoup à la main. En facilitant le travail du sol et les transports, les animaux de trait permettent de réduire la pénibilité du travail humain et d’alléger la pauvreté. La traction animale améliore la productivité du travail agricole et contribue à la durabilité des systèmes mixtes alliant l’agriculture et l’élevage dans les petites exploitations familiales.

Cette synthèse pratique, actualisée et illustrée des connaissances sur la traction animale est enrichie de résultats d’expériences récentes en matière de bien-être animal, de groupements de producteurs et d’artisans, et d’impact environnemental.

Des solutions pratiques sont proposées dans tous ces domaines.

Cet ouvrage, volontairement succinct, est accompagné d’un cédérom qui apporte des informations complémentaires : fiches techniques, textes de référence, études de cas, photographies.

Destiné en priorité aux producteurs, techniciens et agents de développement, ce manuel est aussi un outil de référence pour les enseignants et étudiants de l’enseignement supérieur.

Pour commander version papier et dématérialiser (gratuit)  Cliquez ici.

PromoTA

A voir aussi l’action de PROMMATA international : en cliquant ici et ici.

Fabrication de « Frindes », filet vire-mouches pour les bovins d’attelage en Bresse, Curciat-Dongalon (01)

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L’utilisation du joug de cornes pour l’attelage des bovins bride les mouvements de tête des animaux. Ceux-ci, en période estivale, ne peuvent donc pas remuer la tête pour chasser les mouches qui les importunent en particulier aux yeux. La situation peut mettre les animaux dans un état d’énervement qui ne contribue pas à un travail efficace et serein.

L’utilisation de « filets » en frange de cuir ou textile, pendus à la tête des animaux permet de palier à ce problème.

Nous avons été collecter en 2018 Monsieur Robert Canard, l’une des dernières personnes qui connaît la technique traditionnelle de fabrication de « frindes » en chanvre textile, un modèle typique de filet vire-mouches réalisé à proximité de Curciat-Dongalon en Bresse (01).

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Laurent Janaudy avec sa paire de vache Aubrac équipées de frindes (2010)

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Etoupe de chanvre textile

Hormis l’apprentissage en direct et la pratique avec les informateurs, la vidéo est la meilleure des solutions pour transmettre un geste, un savoir-faire.

Réalisation en vidéo:

Partie 1

Partie 2

Cette fabrication a la particularité d’être réalisée en toronnant à deux brins les fibres de chanvre à partir des fibres brutes légèrement peignées et en réalisant en même temps le tressage des frindes.

Cette technique qui transforme directement de la fibre brute en un objet fini et fonctionnelle est difficilement compréhensible si on ne la voit pas se réaliser du début à la fin. Ce type de réalisation de toronnage/tressage simultané, est l’une des premières techniques « textile » utilisée par l’homme dès la préhistoire.

 schéma toronnage

La réalisation:

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1.Première boucle.

Un brin long est d’abord réalisé puis est bouclé à une extrémité.

La boucle va servir à tenir les torons suivants qui vont être réalisés pour former les franges pendantes du vire-mouche. Le brin long de cette boucle sera un des deux liens qui tiendra le vire-mouche sur la tête des bêtes.

2. Premiers brins longs.

Ensuite on monte des brins longs sur la boucle du premier brin. 

Après la pose du premier brin sur la boucle, les brins suivants sont mariés en une trame autour des brins réalisés précédemment, formant ainsi une bande tressée en haut de la pièce, avec les brins libres et pendants en dessous d’une longueur de trente trois centimètres, faisant leur office de vire-mouches.

Monsieur Canard dispose ordinairement dix brins sur la boucle initiale

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Début de Frinde en raphia de couleur pour voir comment s’organisent les brins pendants. Il n’y a ici que neuf brins mis en place

3. Montage de brins longs pour obtenir la longueur souhaitée.

Lorsque les dix brins sont tous en place sur la boucle de départ, la longueur de la frinde n’est pas suffisante. Pour continuer à créer des brins pendants et donc augmenter la longueur, au lieu de partir de la boucle de départ, on repart à tresser à partir du premier brin pendant (brin numéro 1 sur la photo ci dessus) et on tresse jusqu’à obtenir au bout, un nouveau brin pendant.

Puis on repart du second brin pendant, et ainsi de suite, en décalant d’un brin à chaque fois, jusqu’à obtenir une bande en haut de soixante centimètres de long.

Le dernier brin long réalisé sera l’un des deux brins qui servira à faire la boucle finale et le brin long de fixation sur les bêtes. Il n’est donc pas nécessaire de le faire aussi long en bout (juste de quoi former la moitié de la boucle finale).

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4.La finition.

La bande supérieure a alors un vide en son bout, de la forme d’un triangle. Il faut donc combler le triangle dessiné pour obtenir une bande supérieure de la forme d’un rectangle, en tressant au départ du dernier brin pendant réalisé. On réalise des aller-retour en décalant à chaque fois, en bas, d’un départ de brin.

5. La boucle finale.

On réalise pour finir avec l’extrémité du toron de remplissage, une boucle à l’inverse de la première boucle de montage, en la mariant avec le dernier brin pendant réalisé.

Une fois mariés, ces deux brins n’en forment plus qu’un seul,  qui fera office du second brin d’attache sur la tête des bovins.

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Robert Canard et Véronique Nioulou en apprentissage

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Frinde complète réalisée par Robert Canard

Vous pouvez aussi nous contacter sur l’adresse du blog pour des compléments d’informations.

Merci à Monsieur Robert Canard pour nous avoir transmis ce savoir-faire. Sa gentillesse et son humour nous ont fait passer une journée des plus agréables.

Merci à Monsieur et Madame Gérard et Colette Basset pour leur accueil, leur gentillesse et pour avoir permis la rencontre avec Monsieur Canard.

Véronique et Michel Nioulou

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Le ferrage des bovins, formation chez Philippe Kuhlmann en janvier 2019, par Gaëtan Dübler, Soultzeren (68)

Attention trigger warning : sang, coupe d’un onglon

Photo Léo

Gaëtan Dübler (Cliquez ici pour voir) nous propose un article suite à une formation de ferrage des bovins qu’il a effectué chez Philippe Kuhlmann (Cliquez ici pour voir).

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Cours sur le ferrage du 21 au 23 janvier 2019.

Avec mon boeuf Léo, je transporte et je vends de la bière artisanale dans des marchés, foires et événements (Cliquez ici pour voir).

Léo a marché pieds nus ou avec des hyppo-sandales qui m’ont été fournies par Mélanie Engeler, la spécialiste de ces protections en Suisse via la compagnie qu’elle a fondeé,  BitsnbootsGmbH   (Cliquez ici pour voir).

Ces derniers temps les onglons de Léo ont commencé à se raccourcir. Comme il y a longtemps qu’il n’a pas porté de chaussures, il ne donne plus le pied derrière. Il faut donc le ferrer. Etant donné que je devrai le faire régulièrement, il a été décidé avec Philippe Kuhlmann, qui a suivi mon projet dès sa genèse et m’a conseillé, de m’apprendre à réaliser cette opération moi-même.

D’abord nous nous sommes intéressés à l’anatomie du pied en en coupant un provenant d’une boucherie.

Coupe pied

Coupe de la partie abaxiale de l’onglon. Postérieurement aux phalanges, on observe les tendons fléchisseurs puis les coussinets plantaires. Au-dessous se trouve la sole, et devant, la muraille

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Vue montrant le positionnement des clous dans la paroi.

 Coupe pied 3e

Coupe frontale présentant la muraille, la sole, ainsi que le tissu podophylleux.

Notre attention s’est alors portée sur les clous.

CLOU

La partie distale du corps est taillée afin d’amener le clou à ressortir de l’onglon lorsqu’elle est positionnée à l’intérieur. Suivant l’endroit, il est nécessaire d’introduire un angle dans le clou avec le marteau avant de le rentrer afin de s’assurer qu’il va suivre le bon chemin.

Fers

Puis il m’a appris à sélectionner les fers en fonction de leur taille et de leur forme.

Une fois la broche enfoncée, il reste à la couper avec la tricoise à talon. Ensuite, une encoche doit être taillée dans la corne avec un ciseau, puis le clou est retourné à l’intérieur à l’aide de la pince et du brochoir afin qu’il ne dépasse pas.

On en vient ensuite à  la façon d’enlever un fer. A l’aide d’un rogne-pied et du brochoir, on réalise un jeu au niveau des clous qui permet de les extraire avec la tricoise.

Après la théorie, il a été temps de passer à la pratique et je me suis entraîné à réaliser ces travaux sur des jambes provenant d’animaux tués.

La question du parage avec une rénette, une lime-râpe, le rogne-pied et le marteau a ensuite été abordée.

In fine, nous avons choisi des fers pour Léo à partir des empreintes que j’avais amenées.

Parallèlement à ceci, nous avons réalisé du débardage avec ses bœufs, fendu et rangé du bois, et transporté une balle ronde avec le Ramé.

Au-delà du savoir-faire remarquable de Philippe, ce qui est fascinant chez lui est sa capacité de refuser tout conformisme, de questionner les axiomes du capitalisme, de concevoir sa vie de façon complètement originale. C’est certainement là ultimement que réside la liberté et il a su investir cet espace de façon exceptionnelle. C’est un enseignement que je garde précieusement dans un monde de plus en plus dysfonctionnel où résister devient plus nécessaire que jamais.

Un grand merci à Philippe et Anne-Catherine pour m’avoir accueilli une nouvelle fois sur leur propriété et les efforts qu’ils ont faits pour m’aider.

Gaëtan Dübler

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En 2016, Gaëtan Dübler et son boeuf Léo alors qu’il portait des hyppo-sandales

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