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Le ferrage des vaches ou des bœufs, article publié sur le blog de Papou Poustache

 

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Photo tirée du blog de Papou Moustache

Retrouvez un article assez complet sur les travails à ferrer et le ferrage des bovins en Auvergne issu du blog de Papou Moustache en cliquant ici.

Voici l’article : 

Le ferrage des vaches ou des bœufs

 

Dans beaucoup de villages vous avez du voir ces ossatures bois couvertes d’un toit mais savez vous comment ils étaient fait et surtout à quoi cela servait.
Dans cet article je vais essayer de vous en dire un peu mieux.
Pour élaborer cet article j’ai fait appel à mes souvenirs quand je gardais les vaches à Sagnes vers Anzat le Luguet qui avait un couple de vaches de travail pour les champs boueux ou le tracteur ne pouvait aller et aux explications des anciens sur le sujet et de documentation sur internet.
Si un cheval peut, le temps d’un ferrage, tenir sur trois pattes, la morphologie du bœuf ne le permet pas. Dans la majorité des cas, le ferrage d’un cheval semble poser moins de problème que celui d’un bœuf. Des précautions doivent être appliquées pour la sécurité du maréchal-ferrant et de l’animal.

Action de ferrer.

L’action de ferrer consiste à adapter des fers d’une manière fixe aux onglons des grands ruminants. Le bœuf est un animal qui se prête moins facilement à l’exécution de cette pratique que le cheval ; aussi est-on obligé de l’assujettir avant de procéder à cette opération. Il y a deux moyens qui servent à contenir ces animaux : le premier sans travail, le second avec travail

But

Le but de la ferrure sur l’espèce bovine est de préserver l’usure de la corne qui constitue ses onglons. Dans certains cas, elle peut concourir à la guérison de quelques maladies du pied, mais elle sert rarement à remédier aux défauts de l’aplomb.

L’usure est parfois si grande, qu’on a vu des bœufs, en troupeaux, par suite des marches forcées, avoir les chairs des pieds à nu, meurtries et déchirées quelquefois jusqu’aux os. Cela se produit d’autant plus vite, que la corne de la sole est peu épaisse et que ces animaux marchent avec lenteur.

Le ferrage des vaches ou des bœufs
PRATIQUE DE LA FERRURE. INSTRUMENTS.

 

Pour pratiquer la ferrure du bœuf, il faut d’abord forger les fers, les étamper et les ajuster. Pour cela, il faut un atelier avec sa forge et les instruments nécessaires à la préparation du fer.

Mais souvent sont utilisés par les maréchaux ferrant des forges amovibles les fers étant déjà préalablement confectionnés

C’est le même atelier que celui qui sert pour la ferrure des chevaux ; c’est à la même forge et avec tout ce qui en dépend qu’on fabrique ces fers. On se sert des mêmes marteaux, ciseaux, poinçons, tenailles, etc. Cependant beaucoup de maréchaux, et nous serions de ce nombre, préfèrent, au ferretier, le marteau à main et à panne, dit traverse. L’étampe doit être un peu plus grosse que celle du cheval, par suite de la moindre épaisseur du fer, ce qui fait qu’elle ne peut s’enfoncer aussi profondément, et cependant les étampures doivent être assez évasées pour bien loger la tête du clou. Le combustible employé est la houille grasse. Le fer est le même que celui qui sert à forger les fers des solipèdes ; on doit choisir celui qu’on nomme fer fort, fer doux, fer ductile, etc. ; il se laisse plus facilement travailler. Il est divisé en barres qu’on appelle fer mi-plat, fer maréchal. D’autres fois, les barres sont moitié moins épaisses, mais plus larges du double ; elles sont fendues par leur milieu suivant leur longueur et servent à forger les petits fers. On se sert très rarement du vieux fer.

Description du fer. Le fer du bœuf consiste en une plaque en métal ayant évidemment la forme de la face inférieure de l’onglon à laquelle il doit être adapté. Il offre à considérer : la pince, la mamelle, le quartier et le talon.

La pince est la partie la plus antérieure de la plaque, c’est elle qui quelquefois porte la languette. La mamelle vient immédiatement après ; elle est située entre la pince et le quartier. Le quartier correspond à la partie la plus large du fer, c’est-à-dire vers les dernières étampures. Le talon est la partie la plus postérieure de la plaque et présente deux angles, l’un externe et l’autre interne. L’externe est plus prolongé an arrière que l’interne, par suite de l’obliquité que présente le talon.

Les faces, au nombre de deux, sont : la supérieure sur laquelle doit reposer le contour externe ou la paroi de la face inférieure de l’onglon ; l’autre inférieure portant les étampures et destinée à se poser sur le sol.

Pour fixer les fers il faut aussi des clous

. Les clous doivent être moins forts que ceux du cheval. La tête doit être petite pour qu’elle soit bien enchâssée dans l’étampure, afin de prévenir la cassure du clou au collet. La lame doit être mince, fine, par suite du peu d’épaisseur de la paroi de l’onglon, et présenter assez de rigidité et de souplesse pour bien s’implanter ; les variétés sont peu nombreuses, il y en a de petits, de moyens et de grands. Leur affilure se fait à la manière ordinaire.

Instruments de ferrure. Les instruments employés pour ferrer le bœuf sont les mêmes que ceux qui servent pour le cheval. Ils comprennent le brochoir, le boutoir, les tricoises, le rogne-pied, la râpe et le repoussoir ;

Le ferrage des vaches ou des bœufs

Merci Marie Claire Tixier pour la photo.

Jean, voici une photo prise à Chalus (63), le village de mes ancêtres du côté maternel, devant chez des cousins en 1952 …
Le ferrage des vaches ou des bœufs

Technique de Ferrage

Enlever le vieux fer. — Parer le pied.

La première chose à faire si le bœuf porte un fer à son pied, c’est de l’enlever. Pour cela, les rivets étant détachés au moyen du rogne-pied et du brochoir, on saisit l’angle interne du talon du fer avec les tricoises et par un mouvement de bascule les clous les plus postérieurs sont déplacés. On les sort un à un ; s’il est nécessaire, on y revient avec les tricoises. D’un seul coup, ces dernières peuvent enlever le fer et les clous, la corne n’étant pas aussi fragile que chez le cheval ; cependant, il vaut mieux agir comme nous l’avons dit. Lorsque la corne des pieds est de mauvaise nature, aussitôt les rivets détachés, on fait sortir la tête de chaque clou hors de son étampure avec le rogne pied et le brochoir. C’est une très bonne précaution qu’on devrait toujours suivre. Il ne faut pas laisser de lames de clous dans la corne contre lesquelles le boutoir peut s’ébrécher.

Le fer enlevé, ou bien le bœuf n’en portant pas, on est prêt à parer le pied. Les bœufs qui travaillent constamment et qui sont très souvent ferrés, n’ont pas beaucoup de corne à abattre. On doit parer le pied d’une manière horizontale, n’enlever que l’excédant de la corne et en laisser toujours assez pour protéger les tissus sous solaires. La paroi doit dépasser de quelque peu le niveau de la sole. On doit parer en obliquité du côté du talon. En décrivant la cisaille, propre à raccourcir les onglons très longs, nous avons indiqué comment on en faisait usage ; on termine, s’il le faut, par quelques coups de boutoir.

Fixation du fer.

Que l’on replace les vieux fers ou que l’on en mette de neufs, on suit le même procédé pour les fixer. Seulement, si c’est un fer vieux, il a été choisi et va bien au pied ; dans quelques cas, son ajustement peut s’être dérangée, il suffit de la refaire. S’ils sont neufs, on a dû les préparer avant de mettre l’animal au travail. Un bon maréchal doit toujours en avoir un grand nombre de prêts pour choisir ceux qui iront bien à l’animal. Le fer étant choisi et s’adaptant bien à l’onglon, on broche les clous à la manière ordinaire. Il ne faut pas prendre trop d’épaisseur, ni brocher trop haut,  vu la mince couche de corne constituant la paroi et la tendance qu’ont les clous à se rapprocher du vif par suite de la dureté de la couche corticale, qui devient un obstacle à leur sortie au-dehors.  Certains maréchaux, par suite de la dureté de la corne, tracent le passage du clou avec une alène ; nous pensons qu’on peut se dispenser de cette action préliminaire. Les clous brochés, on coupe les pointes et on rive. Cela exécuté on fait, à petits coups de brochoir en s’aidant d’une branche des tricoises sur laquelle on frappe, coller le pinçon du milieu du fer contre la paroi interne de l’onglon. Si le fer est pourvu de languette, on la rabat sur l’onglon au moyen du brochoir. Quelquefois cependant quelques petits coups du brochoir sont utiles sur le talon du fer pour le faire mieux porter.

C’est exactement le même procédé qu’on suit pour placer un fer à l’onglon interne. Seulement, il ne faut pas qu’il dépasse la paroi, dans la crainte que l’animal se coupe. Très souvent, pour obvier à cet inconvénient, on donne un coup de lime sur toute l’arête inférieure du bord externe du fer et surtout vers l’angle externe, car c’est lui, le plus souvent, qui blesse l’autre membre. Enfin, on laisse les rivets plus courts, on les grave mieux dans la corne et on donne même un coup de râpe dans la même intention. Outre cet usage, la râpe est peu employée pour cette ferrure. Si l’on est deux pour ferrer, c’est le même procédé ; on ferre deux pieds en diagonale chaque fois ; quand on a terminé, on détache les quatre pieds, on baisse le treuil, on ôte les sangles et le bœuf est sorti du travail.

Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs

Description d’un métier à ferrer

 

Tout d’abord en Auvergne il en existe plusieurs sorte j’ai pu voir bien sur les plus fréquents en bois avec toiture comme celui décris ci dessous mais vers Saugues il y en avec des montants en pierre ,d’autre entièrement métallique.

Métiers à ferrer ou Travail

Le travail a par lui-même un grand avantage sur les autres procédés, c’est d’abord de fixer les animaux d’une manière très solide, puis d’être plus expéditif pour pratiquer la ferrure. En effet, en raison des conditions dans lesquelles les animaux y sont placés, on n’a presque rien à craindre pour soi, ni pour les aides et on peut agir avec beaucoup plus de sûreté. Avec le travail Desaybats surtout, où les animaux sont soutenus par les sangles, on peut ferrer deux pieds à la fois, un membre antérieur gauche et le droit postérieur par exemple, s’il y a deux maréchaux, et cela sans aide, les pieds se trouvant fixés solidement. Enfin, il y a un très grand avantage pour celui qui ferre et pour l’aide, c’est de n’être que très rarement atteint ou blessé par l’animal, pendant qu’il cherche à se défendre. On prend beaucoup moins de peine ; il faut moins de force, au lieu de quatre ou trois aides, un seul suffit et à la rigueur on peut s’en dispenser. Cependant avec le travail spécial aux bêtes à cornes, un aide est presque indispensable, surtout pour les pieds antérieurs quand ils sont fixés à l’anneau des branches ; car il faut les porter en dehors, tandis qu’on pousse le genou en dedans pour favoriser celui qui ferre. Enfin le travail Desaybats a encore un autre avantage sur ce dernier, c’est de pouvoir ferrer deux pieds à la fois et d’être apte à recevoir et à maintenir des animaux de taille différente..

Si quelques exemplaires sont constitués, ainsi que l’évoque l’étymologie du mot travail, de trois pieux comme celui de Roissard, la majorité semble posséder quatre poutres verticales. L’assemblage du bâti relève de la technique de la charpenterie pour ce qui est des travails à ferrer avec montants en bois. Une variante est observée dans le cas de ceux à montants de pierre.

La section de ces pieux est bien entendu importante, de même que le bois utilisé est sans doute toujours du chêne pour ses qualités de dureté et de résistance à la torsion, aux intempéries, aux insectes et aux champignons. Ces poutres verticales sont très solidement fixées dans le sol et réunies à leur extrémité supérieure, l’une à l’autre, par quatre autres pièces de bois (solives) parfois de section légèrement inférieure. Chaque angle ainsi formé par une pièce verticale et une pièce horizontale est renforcé par l’assemblage d’un gousset, dans le but de parfaitement solidariser les parties principales de ce bâti..

Les deux piliers avant de cette sorte de portique sont munis chacun à environ 50 cm du sol d’une sorte de barre de métal ou de court chevron en bois ou encore de marche destinée à l’appui des pattes avant de l’animal.

Certains travails édifiés à l’extérieur sont couverts d’un toit (oblique à une seule pente dans le cas de travail accolé à un mur voisin, en bâtière, donc à deux pans, pour un travail indépendant et isolé de toute construction proche). Les quatre gros pieux verticaux du bâti sont alors les porteurs directs du toit.

Parties mobiles
Parties mobiles en matériau rigide
  • parties rotatives, faisant fonction de treuil
  • parties amovibles, basculantes ou pivotantes
Parties mobiles en matériau souple
  • lanières et sangles
  • ventrières

 

 

Ci dessous quelques métiers parmi la centaine que j’ai eu le plaisir de photographier et qui sont préservés dans nos villages d’Auvergne.

Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs
Le ferrage des vaches ou des bœufs

Vidéo sur Jean Claude Mann, bourrelier sellier, fabrication de colliers pour bovins,Muhlbach-sur-Munster (68)

Jean-Claude Mann est bourrelier sellier et fabrique entre autres, des colliers d’attelage pour les bovins. Voir le sujet des colliers à 30’20 » du film.

Cette vidéo est sur le site SAMMLE

 (Voir en cliquant ici).

LA MECQUE DES BOUVIERS, rencontres 2018 écomusée d’Alsace, Ungersheim (68)

LA MECQUE DES BOUVIERS

Publié dans la revue « Sabots » n° 85 juillet-août 2018 

Cozette Griffin-Kremer avec Christine Arbeit, Bernard Barbe, André Kammerer, Rémy Ruckstuhl, Elke Treitinger

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1 – Christine Arbeit au travail, Photo C. Griffin-Kremer

L’Écomusée d’Alsace, rendez-vous des bouviers

Des éclats de rire, parce que Philippe Kuhlmann nous a raconté encore une histoire rocambolesque, et puis on retourne au travail – les Belges à côté des Suisses, des Allemands, des Français et surtout des Alsaciens, les plus proches, toujours là, à l’Écomusée, où le Directeur nous accueille.

Le président de l’Association des Amis de l’EMA et sa femme prennent le temps de nous rejoindre pour le dîner du samedi soir, avec le chef animateur à la retraite, qui travaille maintenant en bénévole, partageant son temps entre la grande aire du chemin de la nature et les champs, et le Théâtre de l’Agriculture, qui fait partie intégrante du projet d’avenir, « Habiter au XXIe siècle ». Les bénévoles ont pris l’habitude de nos séjours – nous sommes toujours pleins de surprises.

Serons-nous vingt, serons-nous quarante, qui viendra en premier, qui pourra rester jusqu’à la fin ? Si nous le savions à l’avance, cela n’aurait pas le charme du croisement entre le programme annoncé et la réalité bien plus riche de chaque rencontre, déjà la 13ème des bouviers, venus pour partager leurs savoir-faire, au pluriel, car les participants viennent de partout en France et de l’étranger avec leurs souvenirs, leurs propres pratiques, leurs jougs, leurs bêtes et leurs espoirs pour l’avenir de la traction bovine.

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2 – La paire d’André Kammerer, Photo André Kammerer

Durant ce long week-end de l’Ascension, le contingent se voit élargi par les participants aux deux stages – tous les deux complets bien à l’avance – que Philippe Kuhlmann a proposés à l’EMA en novembre dernier et en mars 2018. Il l’anime en français et en allemand et tous les participants nous disent que c’est même un avantage qui ne les ralentit pas, au contraire, mais leur donne le temps de réfléchir, tant le travail d’apprentissage exige concentration et engagement.

Pourtant, tout le monde est loin d’être novice, car le stage attire autant Anne, la spécialiste du comportement bovin, mais qui n’attelle pas d’habitude, que Elke, la vétérinaire allemande , bouvière expérimentée parmi les piliers du Groupe de Travail Attelage Bovin dont la réunion annuelle s’est déroulée début février en Autriche.

Celle de l’Écomusée s’en trouve encore enrichie par la solidarité nouvelle, créée par ces stages d’une semaine chacun, et les nouveaux s’intègrent facilement au côté des anciens, dont certains qui reviennent après une absence de plusieurs années.

Un va-et-vient qui irrigue les rencontres d’expériences et d’approches nouvelles lors de ce week-end où la traction animale, aussi bien chevaline que bovine, occupe le devant de la scène pour le public. Il faut donc jongler et parer souvent à l’inattendu.

La première journée – habituellement consacrée à la vache, au lait et au fromage – souffre d’un manque d’effectifs bovins. L’une des vaches sur lesquelles compte Philippe s’est tarie et l’autre ne peut répondre seule à un public qui demande à regarder la traite et à faire goûter le lait frais aux enfants.

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3 – Corentin avec son grand-père André, Photo C. Griffin-Kremer

Tant pis, il y aura autre chose, on invente, et la vache fera partie en tout cas de la présentation au public lors des deux parades quotidiennes des animaux le samedi et le dimanche.

Là, il y a du monde, humain et animal, avec les porcs faisant un passage, les dindons glougloutant et la dinde avec ses dindonneaux derrière le grillage, confortablement installés dans l’étable. Les chevaux passent d’abord, attelés à la charrette et au char-à-bancs qui promèneront les visiteurs par la suite, puis viennent les vaches et les bœufs.

André Kammerer, ancien cheminot et aujourd’hui bouvier, a amené sa nouvelle paire, Tino, le rouge, et Greby le noir. André est allé une fois par semaine chez Philippe à partir de fin mars pour les débourrer et ce sera leur première occasion de « monter sur scène » à l’Ecomusée. Philippe amène ses bœufs, le rouge Manny et le noir Milou, pour rejoindre le contingent régulier de l’EMA pour la présentation des bovins à la grande Place des Charpentiers, centre du village de l’Écomusée, cœur aussi de son histoire et de ce concept d’assemblage d’habitats alsaciens.

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4 – La Maison du XXIe siècle, Photo CGK

Aujourd’hui, L’Écomusée se lance vers l’avenir, vers le projet « Habiter au XXIe siècle », vers des choix qu’il est important de souligner, car ils existent et sont l’objet de présentations au public, tout d’abord, à travers le Concours Bauistella (Concours Construction) de l’an dernier, auquel Philippe a participé avec son invention, une étable pliable et transportable pour faciliter la vie des éleveurs naviguant entre la maison et les pâturages en montagne, conformément à l’énoncé plus large du concours, consacré aux constructions montables et démontables.

Le paysage de l’Écomusée est parsemé de ces bâtis, légers, souvent presque d’aspect ailés, réalisés avec des matériaux écologiques, qui font miroir à celles plus anciennes, car il y a déjà depuis longtemps un chemin vers l’avenir : la Maison du XXe siècle (la maison des grenouilles qui dansent, conçue par l’architecte Gérard Althorffer) et sa voisine d’en face, la maison de Kunheim, survivante des inondations et témoin de la mobilité des demeures et de l’esprit alsaciens.

De là, partant des précurseurs, on suit le chemin vers la Maison du XXIe siècle, conçue par Mathieu Winter, une construction en cours, assurée par la corporation des bâtisseurs de l’EMA selon les toutes dernières exigences de l’architecture durable et calquée sur le concept fondamental des maisons traditionnelles.

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5 – Chemin du Théâtre de l’Agriculture, Photo CGK

La Maison du XXIe siècle ouvre sur le chemin vers les enclos de nuit des ânes et, au-delà, vers la maison de Sundhoffen, nouvellement remontée, qui s’ouvre sur l’itinéraire du Théâtre de l’Agriculture et ses champs de l’avenir, où poussent des récoltes traditionnelles, du houblon aux seigles, le verger, puis les vignes en terrain plat ou en pente, chaque parcelle reflétant la diversité des sols d’Alsace.

La question de l’eau est primordiale ici, car sa maîtrise est au cœur des champs, comme au cœur de la réserve naturelle, un véritable « hotspot » de diversité biologique.

La traction animale aussi fait partie intégrante de cette aventure et les bouviers en ont bien conscience, sachant qu’ils sont là pour profiter d’un cadre exceptionnel de travail, mais que l’occasion doit aussi répondre aux espoirs du public qui suit les interventions bien après les parades sur la Place des Charpentiers.

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6 – Philippe Kuhlmann, débardage dans la forêt de l’Écomusée d’Alsace, Photo CGK

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7 – Madeleine Peignois et Marc Vanoverscheld, retour de débardage, Photo CGK

Et voilà que surgit le « souci des orties », pour ainsi dire. Comment marier sans déception l’attente des visiteurs chaussés de petites sandales et le travail de débardage en forêt ? Un coup de tête des bœufs et les billes partent vite, balayant le chemin – un moment où il faut sévir, et Philippe n’hésite pas à le faire, pour assurer la sécurité des touristes inconscients du danger, rangés un peu pêle-mêle au côté des bouviers.

C’est bien plus facile à la Place des Charpentiers, cœur du village, où les animateurs de l’équipe agricole présentent la traction chevaline et passent le micro à Philippe, qui décrit la race vosgienne, puis introduit chaque attelage bovin.

Là, il y a une occasion pour bon nombre de bouviers d’amener une bête, peut-être seulement au licol, ou bien de montrer leur propre manière de fabriquer un joug, ou de faire apprécier les fins détails du collier à trois points que fabrique le bourrelier-sellier Jean-Claude Mann, venu pour l’occasion.

C’est d’abord à lui que se présentera un visiteur pour identifier un « truc ». Ensuite, le voisin de Philippe, Rémy Ruckstuhl, vient confirmer l’hypothèse : c’est bien un guide-corne, pour corriger la croissance des cornes, et en très bon état. Le visiteur avoue alors être le propriétaire de toute une collection… encore l’occasion d’échanger à l’improviste avec les bouviers.

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8 – Le guide-corne, Photo CGK

Pendant ces journées, les anciens, tout comme Philippe, prennent le temps de montrer aux nouveaux toute la panoplie des jougs et colliers – le joug de tête alsacien, le joug frontal, le fameux collier à trois points – pour qu’ils (et elles) sachent comment les attacher et les ajuster.

André Kammerer a apporté son essai de joug tout neuf, l’orifice à timon bordé d’un fer à cheval. Il a aussi amené son petit-fils, Corentin, déjà un bouvier accompli, qui est chargé de « mettre le clou » lors de l’expérience « timon à roulette » entreprise par les forgerons.

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9 – Le projet du timon à roulette, Philippe et les forgerons avec Nicole Bochet, Photo CGK

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10 – Premier essai du timon à roulette – ça marche, Corentin Huber, Philippe Kuhlmann, Marina Le Glaunec, Photo CGK

Le dernier jour, dimanche, est particulièrement chargé de nouveautés.

Tout d’abord, Philippe nous montre son idée déjà bien définie pour faciliter le travail d’attelage lorsqu’un bouvier doit le faire seul – attacher au timon une roulette qui permettra de le faire glisser dans l’orifice du joug. Cette idée à peine énoncée, nous voilà partis voir les forgerons.

Là aussi, nous constatons la présence d’une forgeronne. Le contingent de femmes parmi les participants montre que la traction animale se féminise très visiblement.

Échanges animés, dessins par terre dans les graviers, les forgerons se lèvent pour rejoindre la forge et nous repartons à la Maison des Goûts et des Couleurs pour écouter le pareur Bernard Barbe (Cliquez ici pour voir), invité de Nicole Bochet, nous faire un bref exposé sur les maladies des pieds et les soins qui s’imposent. Sa description est d’autant plus passionnante, qu’il a l’habitude de soigner des vaches laitières, logées dans des étables souvent semi-industrielles.

Aujourd’hui, il découvre les spécificités des bovins de travail et les exigences du ferrage.

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11 – Bernard Barbe, pareur, devant le travail de l’Écomusée, avec talonnette, Photo CGK

Étonnamment, cette pause en salle de réunion si brève donne le temps aux forgerons d’exécuter un premier essai pour attacher la roulette au timon – ça marche, même s’il faut prévoir quelques améliorations. Après le passage chez le forgeron, nous faisons le point.

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C’est aussi le but des réunions tout le long du week-end, où les conversations fusent et on raconte comment construire un tas de fumier carré, un des divers sujets que Philippe a traités lors des deux stages et qui dépassent le strict cadre de l’attelage et du travail avec des instruments divers, comme la déchaumeuse ou la bineuse.

Malgré le beau temps, le travail est dur, car la couche supérieure est bien humide, mais en dessous, c’est trop sec, ce qui freine considérablement l’élan. Par contre, le passage dans les vignes pour « aérer » le sol se passe mieux.

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12 – Séance de fauche aux champs de l’Écomusée, Photo CGK

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13 – Christine Arbeit et André Kammerer aux champs de l’EMA, Photo CGK

Pour ajouter plus de variété aux activités, Philippe amène une partie des bouviers faucher dans les champs de l’Écomusée, et utiliser ensuite chars et charrettes pour transporter le fourrage vert.

Au retour d’une des sorties en forêt, Philippe essaie un attelage à trois pour montrer comment régler les chaînes de façon à assurer que le vieux bœuf de devant ne se sente pas totalement en vacances et assume sa part de la charge. C’est un bœuf, d’ailleurs, qui aurait dû partir depuis longtemps à l’abattoir, mais que Philippe garde en tant qu’expert « enseignant » pour les plus jeunes bêtes.

Le débardage en forêt continue le long des chemins menant à la Place des Charpentiers et lors des présentations au public qui doivent allier des informations d’intérêt général et des détails techniques pour les bouviers – comment attacher les chaînes ou les crochets pour pouvoir les dégager facilement, comment libérer une bille accrochée par une autre sans endommager les deux, comment « lancer » le bois lors du débardage en montagne.

À l’amusement général, Philippe, accompagné au micro par une animatrice de l’équipe agricole, montre comment passer une paire de bœufs attelée autour d’un arbre quand la forêt est trop dense, en les pivotant autour d’un poteau de la maison du Sundgau – un travail de patience, presque une valse au ralenti.

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14 – Comment lancer le bois au débardage, Place des Charpentiers, Photo CGK

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15 – Tourner autour d’un poteau… ou d’un arbre en forêt, en pivotant, Photo CGK

Les animateurs relaient Philippe pour présenter la race Vosgienne et soulignent le fait qu’il est rare de voir autant de bêtes ayant la robe rouge et blanche, l’utilité historique d’avoir des troupeaux mixtes – lait et travail – pour les marcaires, la place vitale des animaux dans le programme de l’Écomusée.

Une fois les deux présentations de la journée terminées, les visiteurs passent voir toutes les autres animations à l’extérieur ou à l’intérieur des maisons si diverses, s’arrêtant pour discuter avec le potier pendant qu’il travaille, ou avec les invités de ce week-end, comme la couseuse de perles ou le matelassier qui détord les crins de cheval et la laine avant de reconditionner un vieux matelas ou créer un nouveau.

Le côté nature nous attire tous, et les bouviers, arrivés de bonne heure, ne manquent pas de profiter du chemin de la réserve naturelle, d’inspecter le jardin sur paille ou de partager quelques instants la vie d’une butineuse, de découvrir aussi que le clocher englouti a été transporté à l’Écomusée par…. une paire de bœufs ! Visiter la Maison des Coiffes, s’arrêter chez le luthier, ou chez le barbier pour se faire raser à l’ancienne, monter la tour en pierre pour la vue panoramique de l’Ecomusée, prendre le bateau des marais – la journée est plus que remplie pour les visiteurs.

Quant aux bouviers, ils se retrouvent à la Maison de Muespach pour échanger et planifier les rencontres à venir.

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16 – Histoire des Deux Cochons, l’EMA et le bien-être animal, Photo CGK

Tous ont à cœur le bien-être animal et le sujet revient tout au long du week-end – à quel moment castrer pour garder la robustesse de l’adulte, comment loger et nourrir, ce qui implique d’envisager une exploitation à production multiple.

Evidemment, l’Écomusée dispose d’atouts pour tout faire, ou presque, au sein de son programme du Théâtre de l’Agriculture, mais doit aussi se soucier de la manière de jongler entre l’authenticité et les exigences pour le confort des animaux. Ils ont décidé de trancher du côté confort à la petite maison d’ouvrier de Monswiller, où résidait un cochon tout seul dans un espace plutôt réduit.

Aujourd’hui, il a un abri plus spacieux et – comble de bonheur pour un animal si sociable – un compagnon, même si toute l’histoire de Monswiller contredit cette nouveauté. Il faut bouger avec son temps, même si l’on est un cochon.

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17 – La vétérinaire Elke Treitinger et le pareur Bernard Barbe qui discutent, Photo CGK

La vétérinaire allemande et le pareur français discutent ferme de comment choisir les talonnettes ou ajuster le licol pour détendre un animal pendant une intervention, ou tout simplement pour permettre un temps de rumination adéquat, ce qui peut bien aider une jeune vache à accepter son premier veau. Lors de la séance spéciale sur le parage, la discussion est particulièrement fructueuse entre Bernard Barbe et Philippe, tous les deux si familiers des maladies ou des blessures du pied, et Bernard nous régale de quelques expressions de son métier – un trou de ferrage qu’on utiliserait une seconde fois s’appelle un « trou de veuve » ; un « rivet de cocher » indique du mauvais travail, car si le cocher peut le voir, c’est qu’il est trop grand ; si on broche les clous et n’arrive pas à les aligner correctement, on « ferre en faisant de la musique », les notes éparpillées par-ci, par-là, comme sur une partition.

Bernard nous raconte les débuts du parage fonctionnel inventé par le Néerlandais E. Toussant Raven et nous signale des sources sur Internet pour les informations, comme les stages proposés pour faciliter les soins à la maison par tout exploitant. Il espère attirer d’autres pareurs pour l’année prochaine, pour explorer ce monde de vaches et de bœufs au travail.

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 18 – Règlage, Philippe Kuhlmann et Marc Vanoverscheld, Photo CGK

Les bouviers, eux, discutent tout au long de notre rencontre sur la manière d’impliquer de façon plus efficacement les éleveurs et d’autres réseaux, tels les lycées agricoles et les vétérinaires. Philippe souligne la nécessité de faire des stages avec une série d’animaux d’âge, de sexe et de taille différents, à des stades divers d’expérience.

Tous s’accordent à dire qu’il n’est pas facile de réussir le partage entre le temps consacré au public et celui dont ont besoin les bouviers pour travailler en profondeur en forêt et aux champs, et nous revenons encore à la question du bien-être. Le réseau aidera dans ce domaine-là, car Christine Arbeit nous rappelle que la section traction animale de la Fête de la Vache Nantaise (7-9 septembre 2018) travaille depuis longtemps sur la question. La suggestion ne restera pas lettre morte, parce que l’EMA va y envoyer Philippe et le chargé de communication, Thomas Lippolis.

Tout au long de l’année, les bouviers resteront en contact à travers le blog de Michel Nioulou « Attelages Bovins d’Aujourd’hui »et essayeront de peaufiner avec Philippe et l’EMA un programme pour 2019 qui les projettera vers l’avenir et expliquera mieux tout le potentiel de la traction bovine aujourd’hui, en Europe et ailleurs.

Reconnaître et gérer les lésions : boiterie des bovins http://boiteries-des-bovins.fr/reconnaitre-et-gerer-les-lesions/

Les onglons des bovins : une introduction au parage fonctionnel http://www.cecama.ma/wp-content/uploads/2016/07/Introduction-au-Parage-Fonctionnel-Pr%C3%A9sentation-1..pdf

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Le joug, Extrait de « La Harde » livre de Joseph de Pesquidoux, un témoignage littéraire sur la fabrication d’un joug d’attelage.

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Cozette Griffin Kremer nous fait parvenir cet extrait d’un livre ancien intitulé  « La Harde » de Joseph de Pesquidoux de l’Académie Française (Plon Paris, 1936) qui évoque assez en détail, la fabrication des jougs et leur flambuscage.

 

LE JOUG

« On est toujours un écolier, on n’a jamais jamais fini de tourner les pages du livre agreste… Voici ce que je viens d’y lire… Mais, qu’est-ce qu’un joug? Une pièce de bois façonnée sous laquelle on accouple les bœufs pour le travail. Elle comporte deux entrées qui doivent s’appliquer exactement sur la nuque des animaux, de peur qu’elles provoquent de l’échauffement ou des plaies en frottant; deux oreilles, une à chaque extrémité, et deux chevilles pour y enrouler les courroies qui la fixent aux cornes ; enfin, en son milieu, des brides où pend un anneau, et, enfoncé derrière ces brides, un crochet. Brides, anneau, crochet sont de fer épais. Quand on attelle pour un transport on passe le bout du timon dans l’anneau, amarré par une cheville de fer ; quand on attelle pour le labour on accroche la chaîne de tirage au crochet… Et « va donc Bouet, va donc Marty », c’est le nom des bœufs… Un joug a 1 m. 35 de long, 6 à 7 centimètres de large, vu posé sur la tête des animaux, et 10 à 12 de haut, vue de champ. Cette dimension parce que c’est sous un joug de cet écartement que les animaux conjuguent le mieux leurs efforts : plus court, ils se gênent, plus long, ils perdent de leur puissance ; cette force de bois, parce qu’elle est nécessaire comme suffisante pour toute besogne. Ce sont là choses d’expérience millénaire. Enfin, un joug pèse à l’ordinaire de 10 à 12 kilos.

On ne fait les jougs qu’avec de l’ormeau ou du frêne; chez nous, toujours avec de l’ormeau. Ces bois sont seuls assez résistants et légers à la fois. Ils rompent rarement. Soit sous un poids excessif, soit sur un coup de tête des animaux qui attaquent trop brusquement leur charge. Ils le cassent à l’ordinaire sur le passage des brides, au joint de pénétration des boulons… Donc, un de mes métayers qui a brisé le joug de ses grands bœufs en tirant des cailloux des prestations 2 000 kilos de gravier, sans compter le poids du char), à court de bois sec, est venu me prier d’abattre un ormeau pour en faire façonner un autre. Je me récriai: « Vous n’y pensez pas. Ce joug humide et vert sera trop lourd; de plus, il va gauchir et se fendre au travail. Il vaut mieux acheter quelque part une bille sèche. » Le charron était là, amené par le métayer. « Non, monsieur. Nous allégerons, nous sécherons et durcirons le joug aussitôt façonné. Il ne gauchira pas, il ne se fendra pas. Ferré, il servira tout de suite, comme fait avec du bois de dix ans. Vous voulez acheter une bille? Oui, si vous la trouvez vieille d’abord, si on veut vous la vendre ensuite. Un morceau fin, pour joug, ça se garde. C’était juste ; l’économie paysanne veille à tout… « Allons » dis-je. Et tandis que nous cherchions un arbre, sain et droit comme un pilier, poussé sur un fonds compact et frais, mais non humide, qui nourrit une fibre dense, pour y trouver ce joug, et d’autres en prévision, le charron dit encore : « Venez après-demain à la métairie, vous verrez, monsieur, comment on fait un joug rassis d’un joug vert. »

J’y allai, assez incrédule. Tout le monde attendait, le joug façonné appuyé au mur, lourd comme un lingot de plomb. Le charron le prit, le frotta longuement avec des peaux de jambon. On vit le bois luire d’un reflet terne, d’un éclat gras. Une odeur de lard se répandit dans la cuisine où nous étions, autour de la vaste cheminée. Le chat, à pas muets, vint flairer cet étrange et onctueux objet. On le chassa. Des brassées de genêt emplissaient un coin de la pièce, toutes les tiges desséchées qu’on avait pu trouver sur les pieds. On en empila sur les landiers. On alluma. Une flamme éblouissante prit d’un coup. Le charron, qui tenait toujours son joug des deux mains, le plongea dans le brasier, à l’endroit le plus ardent, au milieu d’un bouquet d’étincelles. Le joug flamboya. De petites lueurs blêmes l’enveloppaient, aussitôt éteintes que jaillies, comme des éclairs, et une âcre buée sortait de toutes parts de lui. Il se mit à grésiller, à rissoler ; un bruit de friture s’éleva, comme celui qui monte d’une poêle où une viande cuit [sic] dans son jus. Et comme on le tournait et le retournait dans le brasier, on l’entendit bientôt siffler comme le vent, chanter comme une eau vive. Enfin, toutes les brassées consumées, le feu tomba soudain comme il s’était allumé, avec lui le bruit multiple et ce ruissellement d’eau comme un chant. Cependant le joug ne s’était pas un instant enflammé… On le laissa se refroidir, et le charron me dit en me le tendant : « Soupesez-le. » Il était considérablement allégé, il avait presque le poids normal. « C’est que, monsieur, il s’est séché et durci. » Et, cherchant un couteau sur la table, il frappa du manche sur le joug. L’outil rendit un son clair, comme un vieux madrier par exemple, lorsqu’on le heurte du doigt pour savoir son degré de siccité. Le charron acheva : « On le ferrera demain, et l’homme pourra le lier et finir ses prestations. Il ne lâchera, il ne cassera pas, il se fendra moins encore. » Ce fut vrai.

On brûle du genêt parce que c’est le combustible qui dégage la flamme la plus intense et que, partant, il est le plus susceptible d’amener le joug au point de siccité et de dureté voulu… On met de même au feu les piquets de châtaignier, pour en « tremper » la pointe… On se sert de graisse parce qu’en se mêlant à la fumée du brasier elle forme un corps visqueux qui empêche le bois de s’enflammer, et qu’en fondant et en l’imprégnant elle le garde de se fendre. C’est là tout le secret. Il était inutile, en effet, de courir pour trouver une bille d’ormeau rassise. »

Extrait de « La Harde » de Joseph de Pesquidoux

On peut trouver ce livre d’occasion sur internet.

Quelques événements de l’été d’André Kammerer et de son boeuf, Breitenbach (67)

André Kammerer, nous communique des coupures de presse des Dernières Nouvelles d’Alsace relatant quelques manifestations auxquelles il a participé avec Grivé son boeuf Vosgien.

Nous l’en remercions.

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Pour mieux lire,fichier pdf Téléchargez le PDF en cliquant ici

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« La forcat », un outil de maraîchage simple et efficace, démonstration avec un boeuf Vosgien en solo le 7 mai 2016 aux rencontres de bouviers à l’écomusée d’Alsace, par Solène Gaudin

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Quoi de mieux que le site de l’écomusée d’Alsace pour présenter un outil ancestral pour le travail du sol et de tirer de notre passé, notre avenir !!

Un outil simple mais efficace, utilisé depuis des centaines d’années en Espagne et remis au goût du jour par quelques utilisateurs espagnols d’une façon plus moderne et plus polyvalente, plus simple dans son utilisation.

Cet outil, c’est la « Forcat » que Manu Fleurentdidier est venu présenter, suite à des déplacements chez des maraîchers bio en Espagne où il l’a découverte.

A la base, c’est une araire à laquelle on ajoute un sac en paille tressé qui sert de butoir. Les différentes tailles de buttes sont faites en ajoutant plus ou moins de terre et de paille dans le sac.

Aujourd’hui, elle est toujours utilisée en tant que telle par des maraîchers dans la région de Valencia.

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C’est chez Abel Ibanez et Alfred Ferris Garcia que j’ai pu voir fonctionner cet outil en version moderne. Auparavant tout en bois, la Forcat est maintenant métallique. De conception toujours aussi simple et légère, elle est facile à mettre en place et à utiliser. Elle est bien équilibrée avec une bonne pénétration dans le sol.

La Forcat est composée de 2 parties :

– La limonière est plus courte que celle d’origine qui allait jusqu’au collier. Elle est supportée par une petite sellette. Sur la partie arrière de la limonière, se trouve le palonnier et la partie de fixation du reste de l’outil : l’âge.

L’âge, de conception simple permet de recevoir différents accessoires :

  • Brabanette pour le labour
  • Des « ailes » pour monter des billons ou butter
  • Des lames sarcleuses de longueurs différentes que l’on peut mettre dans un sens ou dans l’autre en fonction du travail souhaité.

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L’âge a toujours sur sa base, une pointe carrée qui fait office de sous-soleuse

On trouve deux poignées sur le manche de la Forcat, l’une permet de tenir l’outil pendant le travail et l’autre, plus basse, permet de lever l’outil pour les manœuvres.

Pour faciliter le transport ou le déplacement de la Forcat jusqu’aux champs, un support avec deux roues vient se greffer sur la pointe de la Forcat.

Pour la démonstration, nous avons utilisé un bœuf de l’écomusée, mené par René Cretin. Il était garni d’un licol, d’un collier 3 points avec croupière, d’une petite sellette et d’une paire de traits.

L’outil se déplace facilement derrière l’animal sans même être tenu grâce à ses roues.

Sur le terrain, c’est avec la brabanette que le premier travail s’effectue. Elle est montée sur un axe et c’est une cordelette qui permet le retournement des versoirs. Le réglage du terrage se fait avec une pige.

L’animal marche dans la raie et la Forcat suit et réalise le labour.

Nous changeons d’accessoire en retirant la brabanette pour mettre une lame sarcleuse. Un simple marteau suffit pour le changement. En effet, c’est un coin qui maintient l’ensemble des accessoires.

Après réglage de la pige de terrage, la Forcat fait son travail dans une simplicité surprenante pour les spectateurs, elle est ancrée en terre et suit le bœuf sans même être maintenue. Un travail de sarclage impressionnant et rapide.

Puis l’accessoire pour créer des buttes est mis en place, changement rapide grâce à ce fameux coin. Et voilà que le bœuf reprend les lignes de travail pour ouvrir le sol et monter en quelques minutes plusieurs billons.

A voir aussi (merci à Christine Arbeit pour l’information):

La démonstration faite, plusieurs personnes ont pu s’initier et prendre en main la Forcat. Les utilisateurs ont été agréablement surpris de la facilité d’utilisation et de la rapidité du changement d’accessoire sans avoir à sortir une caisse à outil.

Solène Gaudin

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Pour tous renseignements, contactez Emmanuel Fleurentdidier qui transmettra:

06 12 25 94 21

traitmalin@laposte.net

Attelage de boeufs dans des vidéos d’archives Portugaises

Vidéos trouvées sur les conseils de Philippe Berte-Langereau. Merci à lui.

 

Les galvachers du Morvan par Philippe Berte-Langereau

Une équipe de galvachers de Corcelles (Anost) mise en scène par le photographe dans les années 1925-30 (lieu non déterminé).

Philippe Berte-Langereau, grand connaisseur des attelages bovins du Morvan, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, après nous avoir fait connaître des films inédits des derniers attelages du Morvan, nous fait l’honneur de nous communiquer un texte sur les galvachers, ces Morvandiaux voituriers aux boeufs qui exportaient leur travail en dehors de leur région natale.

Nous le remercions une nouvelle fois pour son soutien et sa collaboration précieuse dans l’intérêt de tous.

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LES GALVACHERS

  1. QUI ETAIENT LES GALVACHERS ?

Le terme de « galvacher », passé au folklore du Morvan par le biais du « Chant des Galvachers » qui est un hymne du Morvan, désigne des charretiers de bœufs qui partaient avec leurs bêtes et leur matériel débarder les grumes, transporter des pierres ou des étais de mine etc… dans des régions éloignées de la leur de parfois 2 à 300 kilomètres, voire davantage. On les a souvent désignés également sous le terme de « voituriers », terme qui figure dans les actes ou les documents officiels que l’on peut retrouver en archives.

Cette migration était saisonnière (du printemps à l’entrée de l’hiver), temporaire (plusieurs années avec retour au pays) ou définitive avec l’installation dans une nouvelle région où la famille morvandelle faisait souche.

A quelle époque ont pu commencer ces mouvements migratoires ? Au stade des recherches actuelles, rien ne peut permettre de donner des informations précises. Le plus ancien document que j’ai pu consulter pour l’instant date du 24 mai 1764 qui mentionne une mésaventure survenue à Dixmont en forêt d’Othe (Yonne) à Jean Trinquet et Lazare Rouleau, « voituriers boeutiers » de Montignon (Arleuf). Mais il est évidemment probable que les mouvements de charrois se pratiquaient depuis longtemps déjà.

Quoi qu’il en soit, ce phénomène a concerné l’ensemble du massif morvandiau, de l’Avallonnais où il persista jusqu’après la guerre de 1914 jusqu’au sud du Morvan, à Saint-Prix notamment, au pied du Mont Beuvray et du Haut-Folin.

Ce furent des centaines d’hommes, patrons et commis, parfois accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants, qui partirent pour les forêts de l’Allier (Tronçais), de l’Yonne, du Cher, de la Nièvre et, plus loin, de l’Aube (Othe et Orient), de la Marne, de la Haute-Marne, des Vosges, de la Côte-d’Or et plus loin encore, jusqu’en Normandie. Les déplacements se faisaient ordinairement à pied sur une distance moyenne de 25 kilomètres par jour mais, avec l’apparition du chemin de fer, on transporta souvent aussi le matériel et les bœufs en wagon selon les endroits où l’on se rendait.

Ces travailleurs venaient d’Avallon (les Granges, Chassigny, Cousin-le-Pont, Magny), des cantons de Lormes, de Corbigny (Cervon, Gâcogne, Mhère), de Montsauche, de Château-Chinon, de Lucenay-l’Evêque, de Quarré-les-Tombes, etc…et les derniers à partir furent ceux d’Athez et de Corcelles (Anost) qui persistèrent jusque dans les année 1930 pour capituler devant la concurrence des camions et engins de débardage.


A Argenvières dans le Cher, le halage d’un tronc de peuplier dans une zone humide des bords de Loire. (1928)

Et tous ces déplacements, ces bouleversements familiaux, toute cette vie rythmée suivant les mois, que rapportaient-ils ?

Si l’on en juge par les enfants et les petits-enfants de ces familles, on a gagné de l’argent ; en tout cas, infiniment plus qu’en demeurant au village. Aujourd’hui, les photos, les témoignages, les maisons, les propriétés sont là pour l’attester. Certes, on n’a pas fait fortune mais on a pu se permettre des dépenses et la réalisation de projets qui n’auraient jamais été possibles sans cet apport d’argent.

 

  1. CE QU’EN ONT DIT LES AUTEURS DE L’EPOQUE.

Curieusement, ce phénomène migratoire a été assez peu évoqué par les auteurs et notamment ceux du 19ème siècle qui l’ont pourtant côtoyé. Quelques textes, cependant, nous donnent des détails et des chiffres qui permettent de corroborer les collectages qui ont été menés auprès des enfants ou petits-enfants de ces galvachers.

En 1853, Dupin écrit dans son livre « Le Morvan » :

«  Les galvachers, c’est ainsi qu’on appelait les bouviers du Morvan qui s’en allaient au loin faire des charrois dans les forêts mieux exploitées que les leurs. Il y a presque trente ans, on voyait encore passer, avec une curiosité impressionnante, ces lourds chariots traînés par de grands bœufs blancs aux cornes longues et écartées. Ils emmenaient le foin nécessaire à la subsistance des animaux et pour eux le salou (saloir) abondamment pourvu.

Au début du 19ème siècle, toutes nos communes comptaient encore de nombreuses paires de bœufs pour galvacher : Montsauche, 35 paires ; Moux, 54 ; Alligny, 19 ; Saint-Brisson, 104 paires. Les derniers survivants venaient de Cussy et d’Anost. Ils se dirigeaient vers la Bourgogne en répétant, à la cadence de l’attelage, des complaintes où se croisaient toutes les sensations de leur vie. »

En 1909, Levainville écrit dans son ouvrage « Le Morvan » :

« La Picardie ou Bas-Pays, pour l’habitant du haut-Pays, commence là où finit le Morvan : Auxerre, Troyes, Laon, Melun, les environs de Paris, comme la Picardie elle-même, sont la Picardie. Ce mot Picardie usité dans tout le pays est une des conséquences de la visite annuelle des marchands de Paris qui viennent en Morvan acheter de gros bœufs charretiers à destination du pays des betteraves et qui profitent de la louée du 1er mars pour y retenir quelques domestiques.

La profession de boeutier est le dernier souvenir de la profession de galvacher autrefois si répandue et qui ne subsiste plus qu’au pays d’Anost.

Les pièces d’archives du commencement du 19ème siècle montrent qu’il existait dans l’arrondissement de Château-Chinon environ 90 individus qui allaient annuellement travailler hors du département avec une voiture et des bœufs. 80 d’entre eux entreprenaient des transports, notamment de bois de chauffage, pour l’approvisionnement de Paris. Ils s’absentaient 6,7,8 mois de l’année du printemps à l’automne. Ils se dirigeaient sur les ports de bois et le plus souvent à Dormans, Mussy et Crissée (Marne), Montereau, Brisson, Saint-Fargeau, Saint-Sauveur (Yonne), Saint-Germain-des-Bois, Dijon (Côte-d’Or), Autun (Saône-et-Loire), Bourbon-l’Archambault (Allier), Châtillon/Loire (Loiret). Chacun d’eux pouvait rapporter dans une campagne environ 400 francs, tous frais payés . […]

Actuellement, le développement des voies ferrées a considérablement diminué et modifié le métier de galvacher. Cependant, ils existent encore à Anost et Gien/Cure. Ils partent tous les ans en mars et reviennent en novembre. Généralement, ce sont les employés d’un propriétaire de bétail qui fait cette exploitation en grand : un seul possède plus de 50 paires de bœufs. Les attelages sont envoyés au loin, dans un pays où l’élevage n’est guère prospère, jusque sur le Plateau de Langres ou en Lorraine. Ils entreprenaient les transports et les travaux des champs. Une paire de bœufs s’y loue 12 ou 15 francs par jour. Très habiles, très économes, les conducteurs, quand ils doivent rester sur place, louent un pré et y installent leurs bêtes à la rentrée du travail. Très solides, ils vivent rudement. Ils ne se payent une ribote qu’au retour. La commune de Vandenesse a la spécialité de ces agapes. Autant que possible, les bœufs sont vendus dans le voyage et d’autant plus cher qu’ils sont dans un pays où ils font défaut. Ceux qui reviennent au pays sont liquidés en décembre à la foire d’Anost où les emboucheurs viennent les chercher pour les engraisser dans le Bazois. Le bénéfice net d’un attelage de galvacher peut atteindre des prix élevés : plus de 800 francs.

Pour la région de Quarré-les-Tombes, voici ce que disait l’abbé Henry en 1874 :

« On compte quatre classes d’émigrants : les galvachers, les manouvriers, les jeunes gens et les nourrices. Les premiers, appelés aussi charretiers, exercent cette profession depuis plusieurs siècles. Ils vont dans les départements voisins, dans un rayon de trente à quarante lieues, comme aux environs de Nevers, d’Auxerre, de Joigny, de Montereau, de Reims, des Riceys. Ils s’occupent uniquement de l’exportation des bois dans les ventes. Ils passent pour maraudeurs, laissant aller pendant la nuit leurs bœufs dans les prairies prohibées et enlevant pour eux-mêmes des pommes de terre, des fruits. La commune de Saint-Brisson comptaient, en 1835, cent sept paires de bœufs occupées à ces travaux. Celle de Dun-les-Places en voit partir, chaque année, plus de cinquante et celle de Quarré, une dizaine seulement. On évalue celles qui sortent de Saint-Agnan et Marigny à vingt pour chaque commune. Cette spéculation a beaucoup perdu dans l’esprit du pays et ne tardera pas à être abandonnée parce que les routes qui sillonnent aujourd’hui les forêts permettent aux chevaux de faire un service que jusqu’alors les bœufs, par leur patience, pouvaient seuls exécuter. Le hameau de l’Huis Laurent, distant de la chapelle de Saint-Eptade et sur la commune de Dun-les-Places, envoyait encore en 1850 jusqu’à dix paires de bœufs pour ces charrois. Le service des chevaux les a tous congédiés.

En 1897, Gaston Gauthier écrivait pour la région de Decize où se rendaient les charretiers morvandiaux :

« On les voit, l’aiguillon sur l’épaule et la pipe à la bouche, suivre lentement leurs lourds chariots attelés de bœufs amaigris par la fatigue. De temps en temps, les bouviers piquent leurs animaux en les appelant par leur nom (car chacun à le sien : Chavan, Corbin, Frisé, Rassignot) et leur geste est souvent accompagné d’un juron retentissant « tounarre me breûle ! » qui fait hâter le pas de l’attelage.

Quelquefois, ils tirent avec précaution de leur poche la dernière lettre du pays qui leur donne des nouvelles de la famille et du bestiau. Après une lecture laborieuse, ils portent à leurs lèvres la feuille de papier avant de la remettre dans l’enveloppe.

Quand ces hommes laborieux arrivent dans le Decizois, ils cherchent dans le voisinage de la coupe dont ils doivent transporter les produits, une maison hospitalière où l’on consent, moyennant une faible redevance, à les coucher sur la paille et à leur préparer la soupe soir et matin. Ils louent également à proximité un pré (ils appellent cela « louer lâs harbes ») où les animaux paîtront et se reposeront pendant la nuit. Celle-ci est courte d’ailleurs, car les bouviers rentrent souvent fort tard et partent de grand matin.

En effet, levés dès l’aube, ils mangent hâtivement la soupe, mettent du pain dans leur sac ou dans leur poche et vont au pré chercher les bœufs pour les courber sous le joug. Alors, les chariots rangés la veille sur les banquettes des routes, partent en tous sens : les uns, chargés, sont dirigés vers Decize, tandis que les autres, vides, prennent le chemin des bois. Le travail achevé, les animaux mangent et soufflent un peu pendant que les conducteurs prennent sur le chariot même ou à son ombre leur frugal repas de midi : pain et fromage arrosés d’eau, rarement d’un verre de vin.

Bois d’équarrissage, charbonnette, moulée, charbons, perches et étais de mine sont voiturés ainsi par les bouviers morvandeaux dont les chariots se croisent sans cesse sur les routes et les chemins qui relient Decize aux coupes exploitées à plusieurs lieues à la ronde. »

Enfin, Jean Simon, instituteur et maire de Lavaut-de-Frétoy, écrivait en 1883 dans ses « Statistiques de Lavaut-de-Frétoy » :

« Bien peu y font fortune ; beaucoup même y ont mangé leur petite aisance et auraient mieux fait de rester cultiver leurs terres. Mais une fois endurcis à ce métier, les charretiers n’ont plus de goût à la culture. Il n’est pas difficile d’être galvacher, il suffit d’acheter deux ou trois paires de bœufs à crédit, de faire construire un ou deux chariots et d’aller entreprendre de l’ouvrage. A la Saint-Martin, on revend les bœufs avec deux ou trois cents francs de perte par paire ; il faut aussi payer pâture, foin, charron, maréchal, boulanger et si le charretier a quelques centaines de francs de bénéfice, il s’estime très heureux. »

 

3) POURQUOI SONT-ILS PARTIS ?

Cette migration semble ancienne mais il n’est actuellement pas possible d’en situer l’origine avec certitude. Néanmoins, quelques documents écrits peuvent livrer, ici et là, des pistes qui permettent d’avancer. Ainsi ai-je pu retrouver aux archives départementales d’Auxerre (supplément 1erB) un document datant du 24 mai 1764 qui mentionne une mésaventure survenue à Dixmont en forêt d’Othe dans l’Yonne, à Jean Trinquet et Lazare Rouleau, « voituriers boeutiers » de Montignon (Arleuf). Mais il est évidemment certain que les mouvements de charrois se pratiquaient depuis longtemps déjà. Ainsi, M. et Mme Fournier ont-ils effectué des recherches généalogiques sur leur famille originaire des Fourniers, des Guichards et de Bousson-le-Haut (Quarré-les-Tombes). Simon Fournier (1777-1846) est cité comme « voiturier à Bousson-le-Haut. Son fils François, né en 1823, quitte le Morvan pour les Riceys-Bas (Aube) et son petit-fils, né en 1858, est également voiturier au Riceys.

Etienne Bon, né en 1800 à Saint-Brisson, quitte ce village en 1847 pour Vauciennes dans la Marne.

Jean Barat, dit « L’Homme de Fer », de Saint-Brisson meurt en 1856 après avoir longtemps entrepris des transports de bois sur Epernay (Marne). Jean Malcoiffe, né le 30 janvier 1842 à Bussières (Ouroux-en-Morvan) s’installe à Dizy près d’Epernay dans la deuxième moitié du 19ème siècle. Léonard Jeanguyot, né le 10 mars 1812 à Mhère, quitte, semble-t-il, le Morvan la première fois en 1853 pour décéder dans la Marne à Saint-Martin-d’Ablois en 1860, alors en activité de charroi.

Si ces hommes, dans une première étape et ces familles, ensuite, pour quelques-uns, ont quitté le Morvan, c’est que, d’une part, la population y devenait trop nombreuse pour nourrir des familles conséquentes et que, d’autre part, certains ont éprouvé le besoin de tenter l’aventure pour une vie meilleure et qu’enfin, on a voulu améliorer l’ordinaire, agrandir un patrimoine foncier, faire ou refaire une maison et des bâtiments.

Les préoccupations ont été identiques pour les nourrices. Mais alors que les femmes étaient liées au pays par leur enfant, les jeunes commis charretiers ou un entrepreneur célibataire n’ont pas hésité à tout quitter pour s’installer ailleurs et y faire souche.

D’autres, ayant laissé leur famille dans le Morvan ont adopté la migration temporaire sur plusieurs années de façon à atteindre un but qu’ils s’étaient fixé : l’achat de terres, la construction d’une maison. En effet, au 19ème siècle, les paysans qui avaient dépendu pendant des siècles d’un seigneur pas toujours accommodant, aspirent à la propriété et à l’indépendance. Ceci est très vrai pour le Morvandiau qui règne sur deux ou trois hectares en disant : « I en seus libre et indépendant ».

Or, on sait bien que ce n’est pas en demeurant au hameau où la main-d’oeuvre est déjà pléthorique qu’on va « gagner des sous ». Il faut donc plier bagages ; mais ce n’est pas donné à tout le monde et tous les Morvandiaux n’ont pas eu cet esprit d’aventure.

Ce sont les plus hardis qui lèvent l’ancre, attirés par des gains beaucoup plus élevés ailleurs que dans le Morvan, comme l’expliquait M. Gautrain de Bussy (Anost).

Et puis, en ce milieu du 19ème siècle, il y a la « révolution industrielle » et ce n’est pas rien ! Les mines de charbon sont de véritables fourmilières dans lesquelles s’engouffrent des millions de « bois de mines » ou étais chargés de consolider les dizaines de kilomètres da galeries souterraines ; la ville de Paris, sous l’impulsion du baron Hausmann, préfet de 1853 à 1870, devient un gigantesque chantier qui remodèle toute la ville qui n’avait guère évolué depuis le Moyen Age avec son labyrinthe de ruelles étroites. La banlieue, elle, commence à bourgeonner et à dépasser les « fortifs » ; les chemins de fer lancent leurs lignes comme des toiles d’araignées à partir des immenses gares parisiennes ; les travaux des canaux s’achèvent progressivement, commencés au 18ème siècle, sous Henri IV même.

Ainsi, ce sont des millions de m3 de pierre qu’il faut, de charpentes, d’étais, de chevrons, de traverses ou « bois carrés ». La moitié nord de la France et notamment l’est, est un immense chantier dont les forêts (Reims, Orient, Othe, Châtillonnais etc…) font les frais. Il faut des ouvriers pour exploiter ces bois, ces mines, ces carrières ; il en faut pour les transports. Et il s’avère que les Morvandiaux sont là qui proposent leurs services : des hommes vaillants, déterminés, habitués à la dure, sachant diriger des bêtes dressées au doigt et à l’oeil, peu exigeants, habitués à des salaires bas ou inexistants et venus là pour travailler à des taux un peu plus élevés que dans leurs montagnes.

Les entrepreneurs de coupes, les marchands de bois, les exploitants de carrières ne s’y sont pas trompés et ont trouvé là des ouvriers compétents et fiables, peu regardants à la tâche, encouragés qu’ils étaient par des gains qu’ils n’auraient jamais espérés dans leurs villages.

Les « galvachers ou voituriers » venus du Morvan ont donc contribué à cette gigantesque entreprise que fut la « révolution industrielle ». Loin d’être d’archaïques bouviers comme certains les ont montrés notamment par le biais de la photo, ils ont su au contraire, s’adapter avec un matériel simple mais efficace et robuste, des animaux lents mais fiables et l’inébranlable volonté de vivre mieux par leur travail.

Une équipe de trois hommes de Corcelles (Anost) en 1928.

  1. OU SONT-ILS PARTIS ?

Ces travailleurs sont allés charrier dans des régions bien éloignées de la leur sur des coupes et des chantiers importants qui les ont occupés souvent plusieurs années au même endroit. Ainsi, des contacts se sont noués et une confiance réciproque s’est instaurée entre les bouviers et des marchands de bois ; ceux-ci, bien souvent, retenaient la même équipe d’une année sur l’autre. On savait ce qu’on aurait à faire et l’on prenait ses dispositions en conséquence. On a parfois décrit ces hommes comme des errants, bivouaquant le long des routes, un brin chapardeurs au gré des chemins et mal vus par la population locale qui les regardait de travers. Les témoignages sont cependant tout autre ; cette activité de charroi était très bien organisée et n’avait rien d’une aventure improvisée.

Claude Mariller de Bussy (Anost) de 1921 à 1929, s’est rendu tous les ans à La Machine (Nièvre) pour le compte du même entrepreneur de coupes. Il partait avec son frère, un commis et douze bœufs.

Jean-Marie Tazare de Corcelles (Anost), de 1928 à 1936, a toujours travaillé à Voulaines-les-Templiers (Côte-d’Or) pour le même marchand de bois, M. Onillon.

 Louis Duvernoy, né en 1912 à Villechaise (Glux), a travaillé à La Ferté-Loupière dans l’Yonne vers 1940 pour une campagne de débardage. Le marchand de bois s’est occupé du transport des deux bœufs aller et retour par camion.

A Bussières (Ouroux), la famille Guyollot a fait plusieurs campagnes pour le transport de la pierre meulière à Dormans, dans la Marne ; on faisait la navette avec chars et bœufs de la carrière jusqu’au port sur la Marne.

A Varin (Anost), Jean Chapelon (1855-1942) est parti avec son frère dans les années 1890 travailler à Saint-Claude (Jura) avec leurs deux bœufs pour charrier du bois. Au retour, ils prenaient des chantiers de grumes et de chaux sur plusieurs étapes. Avec l’argent gagné, entre autre, il fit recouvrir l’ancienne maison de chaume de Varin en ardoises. Il épousa le 22 décembre 1897 Jeanne Digoy dont il eut Marie et René et fit ensuite la culture.

On se connaissait et des liens se tissaient ; ainsi la famille de M. Onillon est-elle venue se réfugier à Corcelles chez les Tazare au début de la deuxième guerre.

Une fois installé sur place, on a fait venir d’autres gens du village dans un même secteur. Ces procédés se retrouvent chez les nourrices qui, par une sorte de solidarité entre gens pauvres, une fois en place et après avoir gagné la confiance de leurs patrons, pouvaient leur conseiller telle ou telle jeune mère de leur famille ou du voisinage comme nounou.

Les endroits où sont allés travailler les galvachers morvandiaux sont variés et plus ou moins éloignés du pays. On en a une première approche avec les lieux sités dans le Chant des Galvachers et qui sont finalement assez proches du Morvan, dans le Cher, l’Yonne et la Nièvre. Ainsi, l’arrière-grand-père de Mme Bernard, Mathieu Mariller de Planchot (Planchez) qui, vers 1882, est parti pendant plusieurs années à Saint-Fargeau (Yonne) où un hobereau employait des charretiers morvandiaux dans sa propriété.

Par contre, certains sont allés beaucoup plus loin : dans le nord de la Côte-d’Or et le Châtillonnais, dans l’Aube, la Marne, la Haute-Marne, le département des Vosges, le Jura, en Normandie même, à Thury-Arcourt (Calvados), dans le Nord, l’Aisne, la Lorraine, les Ardennes. Ce furent des distances de 2 à 400 kilomètres souvent ce qui était une expédition pour atteindre les coupes au pas des bœufs. En effet, les témoignages concordent fidèlement : on comptait 25 kilomètres par jour. Ainsi, les plus longs voyages duraient-ils 10 à 12 jours. Il fallait donc prévoir le foin pour les animaux car le départ au début du printemps ne permettait pas de les laisser paître dans un pré de louage pour la nuit, l’herbe n’ayant pas encore suffisamment poussé. Il fallait aussi emporter les provisions pour les hommes ainsi que les malles contenant les hardes pour plus de six mois d’absence. Tout ceci demandait une préparation et une organisation efficaces. Avec la fin du 19ème et le début du 20ème siècles, certains utilisèrent le chemin de fer en fonction de l’endroit d’où ils partaient et où ils allaient ; mais beaucoup restèrent fidèles à la route par économie, sans doute, mais aussi parce que le matériel aurait été trop encombrant dans des wagons.

Par contre, certains avaient déjà entrepris une campagne dans une région et y retournaient l’année suivante ; ainsi, ils laissaient le matériel sur place, à l’abri dans une grange pour le retrouver à leur retour. Ils chargeaient alors volontiers la bande de bœufs dans un wagon pour repartir au printemps suivant.

Parmi ces destinations, deux pôles se distinguent nettement :

  • Les forêts d’Orient et d’Othe dans l’Aube et le nord de l’Yonne (Brévonnes, Lusigny/Barse, les Riceys, La Loge-Pomblin etc…)
  • La vallée de la Marne (Dormans, Vauciennes, Le Chêne-La Reine, Epernay, Dizy, Saint-Martin-d’Ablois, Mareuil-en-Brise, etc…)

Economiquement, cela s’explique : les forêts d’Othe et d’Orient sont parmi les plus importantes du sud-est de Paris. Les scieries fixes ou volantes battaient leur plein avec notamment des parquetteries comme « La Société Champenoise » dont M. Revelin originaire de Luzy, était directeur. C’est lui qui fit monter de nombreux Morvandiaux, souvent jeunes et célibataires, pour y travailler au débardage vers 1920-25.

Dans la Marne, les activités sont variées : bois, pierre, etc… La Vallée de la Marne est alors en plein essor et Epernay devient une ville très active : le canal, la Marne navigable, les ateliers ferroviaires, le champagne qui coule à flot dans la bourgeoisie du Second Empire. C’est un bassin propice à l’emploi et de nombreux Morvandiaux s’y retrouvent définitivement ou saisonnièrement.

 

  1. LES VOYAGES.

Quitter le Morvan avant et pendant le 19ème siècle pour une population ancrée dans des villages depuis des siècles relevaient de l’aventure. Ce pays vivait toujours à un rythme ralenti, sans routes ou peu s’en faut, dans des villages archaïques et entreprendre ces déplacements avec bœufs et chariots avait un air de conquête de l’Ouest.

Et pourtant, on ne partait pas à l’aventure ; tout avait été parfaitement orchestré et organisé au préalable, on savait où on allait, les chemins étaient connus, on se donnait des adresses et, finalement, tout un réseau s’était établi petit à petit. Le patron bouvier était allé louer une maison et des prés pour y mettre les bœufs. Tout était prêt lorsque l’équipe arrivait du Morvan pour vivre là pendant plusieurs mois.

François de La Brosse, en 1995, se souvenait que « des gars d’Anost » faisaient étape vers 1920 chez son grand-père Roger au château de Vauban à Champignolles (Bazoches) ; là, ils trouvaient le gîte et le couvert et restaient quelques jours à débarder des grumes de la propriété pour les conduire à la scierie. Après quoi, ils continuaient leur route et, de petits chantiers et petits chantiers saisis sur le chemin, lucratifs et pratiques, ils arrivaient en forêt d’Othe dans l’Aube où commençaient les choses sérieuses pour 5 ou 6 mois.

André Barbier de La Chaume-aux-Renards (Marigny-l’Eglise) se souvient du « Père Férot » du Vieux-Dun (Dun-lès-Places) âgé de 99 ans en 1967 et qui racontait ses souvenirs de charretier migrant. Quand il partait pour une campagne aux Riceys (Aube) réputés pour leurs vignes, il chargeait un chariot de glui ou paille de seigle destiné à lier les sarments de vignes en guise de lien. Au retour et en paiement de cette paille, il rapportait des sacs de lentilles qu’il revendait dans le Morvan. C’était une bonne façon de rentabiliser les voyages aller et retour (110 km dans un sens). 

Bonin (Les Granges, Avallon) se rappelle que son grand-père Joseph Bonin qui dirigeait 43 bœufs et 11 commis, montait dans l’Aube et la Haute-Marne en deux équipes, dès la fin mars, « après avoir planté les pommes de terre ». Tous les ans, le trajet était le même vers l’Aube : 1ère étape, Nitry, 2ème, Lichère, 3ème, Aigremont vers Tonnerre etc… Ceci pour revenir à la fin octobre. Une année, au retour, il a entrepris le défonçage d’une vieille vigne avec ses bœufs : avec l’argent, il a acheté un pré de 2 hectares 96 près de l’actuel terrain d’aviation d’Avallon. Sur la superbe photo prise en 1912 à Soumaintrain (Yonne), son équipe et ses bœufs sont en train de tirer un énorme rouleau pour damer la route.

Claude Mariller de Bussy (Anost) allait à La Machine (Nièvre) et mettait deux jours avec étape à mi-chemin. Quand M. et Mme Gautrain de Bussy (Anost) ont quitté leur maison en 1942 pour Arnay-le-Duc, ils ont parcouru les 50 kilomètres avec bœufs et matériel et ont fait étape à Igornay.

On a dit que ces gens s’arrêtaient le long des chemins et bivouaquaient dans leur chariots. Peut-être certains l’ont-ils fait mais en général, ils s’arrêtaient dans une ferme connue ou une auberge, mettaient les bœufs au repos dans un pré et dormaient dans la grange. La diversité des situations particulières évoquées lors des collectages est loin de l’uniformité qui émane du « Chant des Galvachers ».

 

  1. LA VIE SUR PLACE.

On arrive à destination : comme on l’a vu, tout a été réglé les mois précédents. Les hommes s’installent et, parfois, la femme du patron les accompagne, les jeunes enfants également qui seront scolarisés sur place pour les quelques mois qui attendent jusqu’à l’été. Les enfants peuvent également être demeurés au pays et confiés aux grands-parents ou à d’autres membres de la famille.

Si l’on reprend un chantier inachevé l’année précédente, on reloue la même maison ou le marchand de bois s’en est occupé. Il faut en tout cas, des prés à proximité pour les bœufs. Comme l’herbe en avril ou mai n’est pas toujours assez fournie, on a besoin de foin pour faire la soudure. Ces animaux travaillaient dur et devaient disposer de fourrage pour se refaire des forces pour le lendemain.

La vie s’organise ; elle tourne essentiellement autour du chantier et du trajet de transport des bois vers une scierie ou une gare ou des pierres de la carrière vers un port fluvial. Les hommes passent peu de temps à la maison ; ils partent à la « pique du jour », cassent la croûte dans le bois avec leur gamelle et reviennent tard le soir. On est venu ici pour travailler et gagner de l’argent, c’est le seul objectif à atteindre. Seul le dimanche après-midi est consacré à quelque détente lors d’une fête de pays ou au café du village. C’est d’ailleurs là que les jeunes commis charretiers connaîtront souvent des jeunes filles du cru qui les pousseront à rester dans cette nouvelle région et à y faire souche.

Souvent donc, les femmes suivent ; elles ont pu faire la route à pied ou par le train avec les jeunes enfants. Armand Tazare des Pignots (Corcelles, Anost) se souvenait qu’il avait deux ans en 1928 quand son père a fait sa première campagne de charroi. Sa mère l’a emmené par le train. Même situation pour la mère de Mme Nazaret qui emmena ses enfants par le train pour le trajet Bligny/Ouche – Dormans (Aube) en 1919.

La femme reste tout ou partie de la campagne pour la préparation des repas et des gamelles, pour le linge et le rapiéçage des vêtements. On a souvent emporté sur le chariots des saloirs en bois plus robustes que ceux en grès et remplis de cochonailles. On vit essentiellement sur les productions de la ferme que l’on a emportées.

Elle peut également repartir au pays pendant la période des foins pour prêter main-forte à ceux qui sont demeurés sur la ferme du Morvan ; il faut en effet, rentrer le fourrage qui sera nécessaire aux bœufs que l’on gardera. Certains seront revendus après la campagne de charrois aux foires d’Autun en début d’automne ou d’Anost en décembre ou d’ailleurs également. Ces bœufs, décharnés par le travail, seront emmenés dans la région parisienne pour y être engraissés à la pulpe de betterave puis menés aux abattoirs pour le sacro-saint pot-au-feu de l’époque.

 

Une grande foire à Autun où les attelages pour débarder se vendaient ou s’achetaient.

Les enfants emmenés sont scolarisés sur place ; M. Gautrain de Bussy (Anost) lorsque ses parents travaillaient à La Machine, était confié en pension à des amis de Joux (Anost) jusqu’aux grandes vacances puis il rejoignait ses parents en prenant le tacot à Vaumignon ou Corcelles. D’autres, comme la famille Grimont à Corcelles (Anost) partaient plus longtemps ; M. Grimont dit qu’il n’a jamais pu apprendre à lire correctement car il changeait souvent d’école au gré du travail de son père.

 

7) LE RAPPORT.

La question qui vient à l’esprit en découvrant tous ces déplacements, ces bouleversements familiaux, toute cette nouvelle vie rythmée par le travail est bien sûr : « le jeu en valait-il la chandelle ? »

Si l’on en juge par les collectages et les témoignages des enfants ou des petits-enfants de ceux qui sont partis, une chose semble claire : on a gagné « des sous » ce qui était l’objectif premier. Aujourd’hui, les photos, les maisons et bâtiments construits, les propriétés acquises, les améliorations du logement, tout semble l’attester.

Bien sûr, on n’a pas fait fortune. Mais par rapport à ceux qui étaient demeurés au village en poursuivant leur routine, on a pu se permettre des dépenses qui n’auraient jamais été possibles sans cet apport d’argent frais. Certes, une année pouvait être difficile avec des travaux entravés par la météo mais en général, les gains ont permis des bénéfices.

M . Bonin évoque « la plus forte année » de son grand-père Joseph Bonin (Les Granges, Avallon) : après avoir tout payé, il lui resta 50 000 francs de bénéfice, somme très importante avant 1914.

Léon Geoffroy (environ 1850-1933), dit « Ferrino », né à Poirot (Ouroux), avec l’argent de ses campagnes, fit monter de beaux bâtiments à Bussières (Ouroux) : deux étables spacieuses et une grande grange dans laquelle pouvait tourner un chariot, c’est en dire la largeur. Ce bâtiment est toujours important et à côté des étables basses, mal aérées et noires de l’époque, il avait dû impressionner le voisinage et susciter de la jalousie… Leur maison de Bussières était également bien différente de celles des environs : fenêtres entourées de briques vernissées, une grande pièce commune et deux chambres avec des staffs en plâtre, le sol carrelé de carreaux à arabesques suivant le style de l’époque. Le charroi de la pierre meulière à Dormans (Marne) avait incontestablement rapporté de l’argent d’autant que la femme de Léon Geoffroy était partie comme nourrice : c’est un des très rares cas de double émigration galvacher-nourrice.

M. Tarillon de Dizy (Marne) évoque son arrière-grand-père Malcoiffe (1842-1920) né à Bussières. Il s’installe à Dizy et y exploite un terrain de trois hectares pour en tirer la pierre meulière ; il le comble ensuite et en fait une vigne à champagne qui rapporte toujours aujourd’hui. Actuellement, ces terres valent entre 3 et 6 millions d’euros l’hectare en vignes ! Il se marie là et organise une entreprise de transport et la collecte des ordures d’Epernay. Autant dire qu’il ne mettait pas les deux pieds dans le même sabot.

Lazare Defosse (1850-1935) vivait aux Maçons (Arleuf). Il est toujours parti au loin pour charrier avec 3 ou 4 commis, comme le raconte son petit-fils, Henri Defosse. Lazare eut deux fils dont Jean-Louis qui fit construire avec le bénéfice de ses campagnes de charroi une grange de 10 mètres sur 8, taille exceptionnelle au début du 20ème siècle, au hameau des Maçons. Le père d’Henri Defosse, Etienne (né en 1877) fit quelques campagnes avec son père avant son mariage en 1910.

Armand Tazare a toujours habité la maison que son grand-père avait fait construire avec les gains de ses charrois aux Pignots (Corcelles, Anost). Cette maison, à la fin du 19ème siècle, devait trancher avec la plupart des autres toujours couvertes de paille et aux ouvertures réduites, au sol de terre battue ; à l’intérieur, celle-ci a trois chambres individuelles et un plafond en lambris qui n’est plus à la française. Enfin, en 1995, le papier peint posé en 1910 était toujours là. Du papier peint en 1910, au fin fond du Morvan, on ne devait pas en trouver sur tous les murs ! Louis Ravier avait charrié au loin et en avait rapporté des idées.

Pierre Guyollot, gendre de Léon Geoffroy, à Bussières, a charrié également de la pierre à Dormans. C’est lui qui a pu s’acheter la première moissonneuse-lieuse du secteur vers 1914.

Bien évidemment, ces personnes travaillaient à leur compte. Les commis, payés au mois, gagnaient moins ; mais, comme pour Lucien Devoucoux (Vermenoux, Château-Chinon campagne) c’était un moyen de se constituer un pécule avant de se marier. Il travailla avec Jean-Marie Tazare à Voulaines-les-Templiers (Côte-d’Or) de 1928 à 1933, date de son mariage. Ou comme Francis Boixières (Roussillon-en-Morvan) qui a travaillé à 17 ans avec François Guyard dans la Marne, avant son service militaire.

 

8) LES VEHICULES ET LE MATERIEL UTILISES.

La charrette à deux roues.

La charrette à deux roues est un véhicule très simple et qu’on retrouve partout dans le monde avec des adaptations et des aménagements différents suivants les endroits. Certaines sont même somptueuses comme en Sicile ou au Costa Rica où elles rivalisent de couleurs, de peintures et de symbolisme. Dans d’autres régions comme en Galice ou les Asturies (nord-est de l’Espagne) ou le nord du Portugal, leur archaïsme est demeuré étonnant jusqu’à la fin du 20ème siècle avec une construction exclusivement en bois y compris l’essieu des roues.

Cette charrette qui a totalement disparu du Morvan depuis une cinquantaine d’années (c’est tout juste s’il en reste de rares spécimens qui achèvent de pourrir dans un jardin public ou à l’entrée d’un village qui s’en fait une gloire), cette charrette était parfaitement adaptée au relief du pays, à ses chemins difficiles, aux cours exiguës de ses fermes, aux rues étroites des villages. Elle se faufilait partout et les charges qu’elle supportait étaient respectables notamment en matière de bûches.

Cependant, cette charrette n’a, semble-t-il, pas été utilisée par les galvachers de charroi et de débardage ; seuls quelques charretiers de « proximité » l’ont utilisée pour amener de la chaux, du vin etc…jusque dans les villages. Ceux qui migraient avaient besoin du lourd chariot à quatre roues, aux roues puissantes et robustes capables de résister au redoutable chargement des grumes « à la déverse » (voir plus loin).

 

Le char à quatre roues.

C’est un véhicule nettement plus élaboré même s’il demeure simple dans sa conception. Il est constitué de deux trains : l’avant (ou « coum’seu », consure) est équipé de deux roues plus petites de 10 à 12 rayons selon leur robustesse. Il est muni d’une « plotte » qui permet au chariot une rotation tout en maintenant son chargement en ligne. Le train arrière est fait de deux roues de 12 à 14 rayons, en principe de taille plus importante. Il possède un système de freins fait de « patins » en bois d’abord puis en métal qu’on appelait « lai mécanique ». 

2 janvier 1927 à Martigny-les-Bains dans les Vosges. Une équipe de galvachers de Corcelles (Anost). Ce morceau de chêne cubait 10 mètres cubes et pesait 10 210 kg.

Chaque train est muni de deux solides pièces de chêne incurvées et qui empêchaient les troncs de verser : ce sont, suivant la terminologie de chaque secteur du Morvan, « les ranches, ranchers, effoinces etc… ».

Le matériel de charroi et de débardage était nettement plus robuste que les véhicules à usage agricole. Moyeux, jantes, rayons, timon, tout est plus massif et capable de résister à des charges impressionnantes comme les anciens clichés sont là pour nous le rappeler.

 

Les roues.

Observer une roue de bois avec son bandage en fer qu’on appelle « embattage », cela semble faire faire un bond en arrière de plusieurs siècles, se dit-on. Ces roues qu’on voit encore ici et là sont le fruit d’une lente évolution, de calculs compliqués et d’un art complexe, celui du charron.

La roue en bois fut détrônée par le pneumatique, dans le Morvan, à partir des années 1950 et ce fut l’abandon progressif de cette pièce qui avait évolué depuis des millénaires sans doute.

Avant de parvenir à la roues « embattue » et cerclée d’un fer chauffé qui se rétracte par refroidissement autour de l’ensemble en bois, le Morvan comme plusieurs autres régions montagneuses de France, a connu un curieux système de bandage en bois qui recouvre la jante, formant finalement une double jante. Ceci perdura dans les villages par souci d’économie, le fer étant inaccessible à beaucoup de petits paysans.

En 1853, le député Dupin, depuis son château de Gâcogne, en parle comme d’une pratique courante à l’époque : « La plupart des Morvandiaux, accoutumés de bonne heure à « chapouter » le bois, raccommodent eux-mêmes leurs véhicules et leurs charrues. Ils s’entendent à merveille pour « chausser » les roues de leurs « çarottes » avec des bandes de bois dont ils forment des embattures, par préférence à celles de fer qu’il faudrait payer, autant qu’il leur est possible car le bois ne leur coûte rien. »

Ailleurs dans « Le Morvan », Guyot-Bidault, en 1840, en parle également comme d’une chose tout à fait contemporaine : « Les roues de voitures sont tout en bois ; le cercle de fer qui ordinairement entoure la jante, est remplacé par une double jante de bois appelée « chaussure » et qu’on renouvelle lorsqu’elle est usée. »

Henri Lacour, âgé de 80 ans en 1995 (Bousson, Quarré-les-Tombes), racontait qu’il avait vu quand il était âgé d’une vingtaine d’années vers 1935, le père Nolot qui fabriquait lui-même les roues avec des « chaussures » en bois car  « il n’avait pas de sous ».

M. Doreau (Chanson, Saint-Prix), en 1952, lors d’un débardage à la Petite-Verrière a connu un cultivateur qui utilisait des roues à bandage de bois qu’il rechaussait lui-même avec des chevilles.

 

9) LES TECHNIQUES DE CHARGEMENT ET DE TRANSPORT.

Les techniques de chargement des grumes sur le chariot sont variées et M. Doreau, ancien débardeur sur les flancs du Haut-Folin, résumait bien la situation :  « On faisait comme ça se trouvait disposé, ça dépendait. » Il est vrai que, selon la nature du terrain, la pente, la disposition d’une grume, le charretier avait plusieurs cordes à son arc et utilisait toutes les possibilités pour hisser un tronc sur un chariot. Quoi qu’il en soit, il semble bien qu’il y ait eu trois techniques utilisées pour ce travail :

  • la coulisse ou la déroule.
  • La déverse.
  • Le chargement aux crics ou au bouc.

Par contre, les photos que l’on peut retrouver dans le Morvan ou ailleurs nous laissent admiratifs sur les techniques et l’ingéniosité d’hommes qui n’avaient que des outils rudimentaires pour transporter des grumes géantes pesant plusieurs dizaines de tonnes. Il fallait toute l’exploitation de l’intelligence, beaucoup d’audace et de ténacité, une parfaite maîtrise de l’outillage et des bêtes, la connaissance du terrain, un travail d’équipe, de la force et des techniques difficiles.

 

La coulisse ou déroule.

Il s’agit de placer deux coulisses (des madriers) au sommet des deux roues d’un même côté du chariot. A l’aide de chaînes passées sous le tronc et reliées au joug des bœufs qui tirent, on fait rouler la grume le long des coulisses jusqu’à ce qu’elle vienne se poser sur le char. C’est évidemment plus facile à lire qu’à faire mais cette technique avait ses adeptes.

 

La déverse.

C’est grâce à ce procédé que des très gros arbres ont pu être chargés. Il consiste à « déverser » ou renverser le chariot sur chant contre la grume puis à remettre l’ensemble d’aplomb en usant de la force d’une ou plusieurs paires de bœufs.

Le chargement d’une grume « à la déverse ». On renversait le train avant du chariot contre le tronc à charger et avec une chaîne, les boeufs tiraient pour redresser l’ensemble. On faisait ensuite la même chose avec le train arrière du char.

Afin que les roues ne se brisent pas lors de la remise en place du char, on fixait à chaque jante une « fourchette » à l’aide de chaînes ou de cordages. Cette solide pièce de bois avait deux fonctions : stabiliser les roues lors du basculement avec le tronc et faire levier pour la chaîne tirée par les bœufs. Quand un des trains du chariot était chargé, on procédait de même pour le second train.

A Moulins-Engilbert (58) vers 1910.

Les crics et le bouc.

Le bouc est un outils rudimentaire mais très efficace qui utilise à la fois la crémaillère pour se reprendre et le levier pour soulever. La grume était soulevée d’une extrémité qui était déposée sur le train avant puis de l’autre extrémité posée sur le second train.

Les crics sont plus élaborés que le bouc dont ils sont les descendants. Il était l’allié indispensable de tout charretier et servait à différentes fins.

 

Le triqueballe.

C’était un engin spécialement fabriqué pour le transport des troncs et il semble qu’il n’ait pas été utilisé – ou très peu – par les galvachers.

 

10) CONCLUSION.

Les galvachers ou voituriers, à l’égal des nourrices, sont un symbole pour le Morvan dont ils ont été, à une époque, un des fers de lance ; ils sont partis pour améliorer un sort, avec des projets et une volonté d’entreprise. Les ont suivis les commis qui, eux non plus, n’ont pas hésité à franchir le pas pour échapper à ce qui n’était pas loin de la misère.

Les uns sont revenus avec des idées nouvelles captées à l’extérieur et au contact d’autres populations ; ils cherchaient de meilleures bêtes, ont introduit du matériel nouveau qu’ils voyaient tourner dans des régions plus riches, ils ont amélioré leurs bâtiments, leurs maisons. Ils ont été un des moteurs, même éphémère, du haut pays.

Les autres ont décidé de s’établir dans ces nouvelles terres où ils se sont plu et où le travail les a retenus. Aujourd’hui, là-bas, des familles se souviennent toujours de la terre d’origine où, dans maints cimetières, demeurent les ancêtres qui les ont vus partir.

 Vers 1912, à Soumaintrain (Yonne), une équipe de galvachers de la région d’Avallon revient de campagne. Les boeufs sont équipés de guêtres pour éviter de se blesser les pattes avec les fers des onglons.

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 Merci encore à Philippe pour son travail et son soutien.

Les jougs « en bois massif », par Lionel Rouanet

Lionel Rouanet au travail à la hâche

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Voici le second volet consacré à la fabrication des jougs, à la suite de l’article consacré aux jougs en bois contre-collés. 

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Voici une argumentation en faveur des jougs massifs pour « donner la réplique » à l’article de Michel sur les jougs contre-collés.

D’abord, Michel, rassure-toi, ta pratique en autodidacte vis-à-vis de la fabrication des jougs, n’enlève rien à tes connaissances, tes qualités techniques et manuelles de réalisation, aussi bien pour les jougs que pour le charronnage.

Réflexion sur l’apprentissage, la transmission.

Le fait d’apprendre par soi-même n’a rien de dévalorisant, au contraire surtout quand il s’agit de savoir-faire en voie imminente de disparition.

Certes, bien souvent, comme dit le proverbe : « Mieux vaut un qui sait que dix qui cherchent ». Mais quand le « un qui sait » se fait rare, les « dix qui cherchent » sont les bienvenus.

Et puis les « dix qui cherchent » permettent parfois, par un regard neuf et un questionnement « innocent », d’améliorer la maîtrise du « un qui sait ».

La transmission, l’apprentissage et la découverte (relative ou non) des savoir-faire et des savoirs méthodologiques est quelque chose de délicat.

« Apprendre par soi-même ». Peut-il au final en être autrement ? Certes le fait d’avoir un (ou plusieurs) « maître » va aider, bien sûr et faire gagner beaucoup de temps, évidemment. Mais ce n’est certainement pas parce que le « maître » sait, que « l’élève » apprend.

Celui qui souhaite apprendre ne peut digérer la situation d’apprentissage que par lui-même, quand bien même elle soit prémâchée et pour autant que le maître soit bon.

« La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que l’information. » Albert Einstein.

Un proverbe, me semble-t-il attribué à Confucius, dit également à ce sujet :

« Plus le maître enseigne, moins l’élève apprend ».

Avons-nous eu besoin d’un « maître » pour apprendre à marcher ? C’est pourtant une prouesse d’équilibre vis-à-vis de la grande famille des mammifères que nous sommes. Si nous avions appris à marcher à l’école, il y a fort à parier que le nombre de boiteux serait conséquent!

La remarque est identique pour ce qui est de l’apprentissage de la parole!

Pour la génération des années 1920 ou 30, derniers à avoir été, selon l’origine des familles, peu à l’école ou « en pointillé » et « quand c’était possible », cela a-t-il empêché d’apprendre à ceux qui en avait l’envie? Cela leur a-t-il empêché de s’élever et d’avoir parfois de nombreuses connaissances et une grande culture ? Non, bien sûr!

Par rapport « à l’artisan parfait et aguerri » pour te citer, je ne vois pas pourquoi en tant qu’autodidacte tu ne pourrais pas accéder à cette « qualité ». En fait, pour apprendre, (si on exclut les considérations sociologiques ou corporatistes) il faut seulement le désir d’apprendre, puis se placer (en conscience) en situation d’apprentissage. C’est ensuite l’idée que l’on a (ou que l’on a reçue) du résultat et l’envie d’y parvenir, qui conditionneront la qualité du travail, pour un niveau de compétences atteint.

Contrairement à celui dont la situation d’apprentissage est l’école ou un centre de formation, un autodidacte n’a pas un enseignant fixe et régulier, mais il a néanmoins des modèles et des repères, ceux qu’il choisit au fur et à mesure qu’il observe, qu’il avance et qu’il découvre1.

1 Découvrir : dé-couvrir. Enlever la couverture … sur ce qui existait déjà. Jean-Pierre Lepri.

Marius St Léger, ancien sabotier et jougtier de Lozère, dit à propos de ses apprentissages : « J’étais un voleur avec mes yeux ».

Pour ma part, la situation d’apprentissage a été, un peu malgré moi (mais j’en suis ravi, merci Olivier), essentiellement au contact d’un homme de métier: René Alibert.

Elle a des avantages: d’abord tout simplement de maintenir un contact humain sympathique entre générations; puis d’éviter des erreurs en ne cherchant pas à réinventer l’eau chaude, ce qui se traduit par un gain de temps qui, dans le cas des jougs, est loin d’être négligeable tant leur géométrie est tarabiscotée2 (au sens quasi propre du terme), surtout ceux du secteur Aveyron, Lozère, Sud du Massif Central, Tar, voire également ceux de l’Occitanie languedocienne en général. (Je ne connais pas tant les autres.)

Quelle perte d’énergie et de temps cela aurait été pour moi de chercher à retrouver depuis le début, une méthodologie et des gestes utilisant uniquement des outils manuels ancestraux, que le père à René Alibert et ses prédécesseurs ont mis des décennies (voire des siècles) à élaborer et améliorer ! 3

2 Tarabiscoter : 1er sens : Travailler, effectuer des moulures au tarabiscot. Le tarabiscot est un outil manuel relativement simple, composé d’un manche en bois serrant un « fer » à la forme négative du profil à réaliser. C’est l’ancêtre de la toupie ou de la défonceuse.

3 Petit remerciement au passage, à Joseph Alibert, le père de René qui durant sa vie professionnelle s’est beaucoup interrogé sur la méthodologie de fabrication et la forme la plus adaptée (pour le modèle régional), avec le meilleur rapport efficacité/poids. Il a exercé le métier un peu plus de 30 ans avec une moyenne légèrement supérieure à 300 jougs par an …

Sans compter que la réalisation d’un joug n’est pas seulement une histoire de copeaux ! Je ne dis pas cela en rapport avec ton article, Michel, mais seulement parce que ces lignes me donnent l’occasion de le préciser. Je sais bien qu’il en est de même pour les autres métiers traditionnels du bois, mais dans ce cas-là, le résultat s’adapte au vivant! Il faut aussi avoir les connaissances et la pratique de l’utilisation. Visualiser « comment les bêtes tirent, travaillent ». Si c’était d’une relative évidence pour la génération de René ayant baigné durant l’enfance, dans la fin de la longue époque, ère même, où « la corne arrachait tout », ça l’est bien moins pour ma génération, par exemple. Parfois au début, René me disait :

  • « là tu peux tirer plus de bois … » ou « hop, là, n’en tire pas plus parce que sinon les bêtes elles vont être trop comme ça … ou comme ça. Tu vois. »

Et là, selon les cas, je me pensais :

  • « ben euh … » !

Et généralement je posais la question pour en savoir un peu plus, sur ce qui pour lui était d’une grande évidence.

Pour en finir avec ma réflexion sur l’apprentissage, je tiens encore à ajouter que pour progresser dans un art, à mon avis, en plus de le pratiquer aussi souvent que possible, il faut aussi la volonté de le transmettre ou de le partager d’une manière ou d’une autre. Car le simple fait de montrer des gestes, de re-verbaliser ses propres connaissances ou d’échanger à leur sujet permet de prendre conscience du « qu’est-ce que je sais, pourquoi, comment je sais », de constater ses faiblesses ou ses lacunes, puis de découvrir ce qui éventuellement manque, pour le reconstituer et finalement s’améliorer, s’élever dans cet art. Mais attention selon les cas à ne pas vouloir trop en dire : « plus le maître enseigne … »

Revenons aux jougs.

L’article de Michel expose très clairement la problématique de la qualité des bois nécessaire à la réalisation des jougs et donne une réflexion intéressante sur l’utilisation du bois collé, ses avantages et la mise en œuvre.

Vu qu’il donne des informations détaillées sur ses « prototypes » de jougs en contrecollé, je vais essayer d’en faire autant à propos de ceux en bois massif. Pour cela je vais devoir ré-aborder un peu le sujet de la qualité de bois nécessaire.

Pour ma part, bien que la réflexion de Michel soit très cohérente, je continuerai à réaliser, autant que possible, des jougs massifs. Vous comprendrez quelques-unes de mes motivations dans ce qui va suivre.

L’approvisionnement en matière d’œuvre.

Il est vrai de nos jours, que l’approvisionnement en bois d’œuvre pour la réalisation des jougs est quelque chose de plutôt compliqué à moins d’avoir des bois ou des haies à soi, ainsi qu’une marre ou un étang.

Dans le temps.

A l’époque où la réalisation des jougs n’avait pas connu d’interruption, ce n’était pas le jougtier qui fournissait le bois, mais le paysan ! Du moins pour ce qui est des jougtiers professionnels itinérants ou pour le cas des fabrications occasionnelles et non professionnelles par un paysan averti qui réalisait des jougs pour lui ou pour un voisinage plus ou moins étendu. C’est-à-dire la grande majorité des cas.

Ceci n’est peut-être pas vrai dans le cas où c’était le charron du village qui s’occupait de la fabrication des jougs du secteur. Et encore!? Info à rechercher.

J’ai souvent entendu dire par des personnes nées entre les années 1920 et 40, dans l’Aveyron ou le Tarn, que dans leur enfance les charrons ne travaillaient pas seulement à leur atelier mais aussi sur place, chez des paysans, pour la réalisation des caisses de véhicules. Ils étaient alors eux aussi des itinérants occasionnels, et à cette occasion travaillaient un bois fourni par le paysan « client ». Un bois souvent vert d’ailleurs, seules les pièces comportant des tenons (ou faisant office, traverses en queue de billard, par exemple) étaient impérativement en bois bien sec.

À cette époque, les paysans prévoyaient le bois d’œuvre pour les artisans, c’était quelque chose de culturel. Ils coupaient souvent le ou les arbres à l’avance et le pied de bille était conservé dans l’eau, dans le « pesquier 3» ou la « soumpe 4» remplie d’eau par les eaux d’écoulement et résultant du trou qui avait été réalisé lors de la fabrication de la maison pour extraire et gâcher la terre, matière première du mortier souvent « d’agasse 5» utilisé avec parcimonie pour les maçonneries de la ferme.

4-5-6 : mots d’origine occitane, suivis entre parenthèses de la en graphie occitane puis de la graphie phonétique française, et de la traduction.

pesquièr ; pésqu : le vivier

sompa ; soumpo : la marre

6 agassa ; agasso : la pie

Mortier d’agasse : analogie au mortier que font les pies pour lier les branches de leur nid. Les mortiers d’alors étaient souvent très maigres en chaux qu’il fallait acheter.

Nota : ò se prononce o « ouvert ». La syllabe soulignée est celle de l’accent tonique.

Si le bois n’était pas dans l’eau à attendre son utilisation, alors le jougtier le coupait le jour même. Mais pas n’importe quel arbre! Comme il faut un bois de qualité, le choix se faisait d’un commun accord entre le paysan et l’artisan, car dans les fermes, la croissance des arbres était observée. Si ce n’était pas le paysan lui-même, car peut-être trop jeune, c’était son père ou son grand-père qui savait si tel arbre « pouvait faire », s’il n’avait pas quelque branche trop basse qui avait été avalée par la croissance ou quel qu’autre défaut caché. Ainsi les mauvaises surprises étaient évitées au maximum. Peut-être dois-je préciser que pour faire un joug, nul besoin d’un arbre multi centenaire ! Un frêne de 50 ans est déjà très souvent largement suffisant, ce qui veut dire qu’il y a dans la mémoire collective des habitants d’un lieu, les souvenirs de sa croissance et donc de sa possibilité d’utilisation pour telle ou telle application. Il faut rappeler aussi qu’à cette époque, antérieure au remembrement, les arbres étaient généralement cultivés et soignés. Ils s’appelaient des « têtards 7» », des « trognes 7» ou autre selon les régions …

7 Arbres de haies au houppier relativement bas, élagués périodiquement, entre 3 et 5 ans. La ramure fournissait à la fois des feuilles pour le bétail et des branches pour les fagots.

Pourquoi le bois était-il (et est toujours) mis dans l’eau ?

Pour répondre, il faut commencer par dénoncer un abus de langage : « on mettait le bois à sécher dans l’eau ». Non ! On met le bois à conserver dans l’eau.

Pour cela il faut que l’immersion soit totale ou presque. Ce qui altère le bois, c’est le fait d’être à l’humidité, un peu dans l’eau, un peu dans l’air.

Pour avoir une immersion la plus complète possible, ou totale (le bois coule), il faut que le bois soit mis à tremper au plus vite après sa coupe, tant qu’il a une densité proche de 1.

Le fait de le mettre à tremper au plus vite lui évite aussi de commencer à fissurer, surtout par temps de vent, ce qui peut aller très vite sur des sections telles que celles nécessaires à la réalisation des jougs. D’autant plus si la bille n’a pas déjà été fendue (aux coins, de manière volontaire) et ramenée à la section nécessaire, ce qui lui enlève une forme de raide et la libère de certaines tensions.

Réaliser un joug dans une pièce sèche déjà fissurée ou fendue (même peu), ce serait prendre le risque d’avoir un morceau de bois devant être conservé qui se détache avant la fin de la fabrication, surtout dans le cas de modèles de jougs couvrants et donc moins droits.

Dans l’eau, le bois va rester relativement tendre. Chose très importante lorsqu’on travaille avec une hache ou une herminette. Ces outils ne sont pas adaptés au bois sec. Ils y rentrent plus difficilement, génèrent donc plus de chocs et vibrations et deviennent désagréables à manier.

Dans l’eau, surtout dans de l’eau courante, le bois va également se rincer peu à peu de sa sève, donc d’une très grande partie des éléments nutritifs pour les insectes xylophages. La sève contient de l’amidon et autres types de matières sucrées. La structure du bois : cellulose, lignine leur semble beaucoup moins à leur goût.

Ce deuxième intérêt du trempage du bois est d’autant plus important dans le cas des jougs, que l’on peut très difficilement garantir une réalisation sans aubier restant, contrairement à la charpente ou la menuiserie. D’une part pour des problèmes de dimension de bille, d’autre part car certains des bois utilisés n’ont pas l’aubier distinct. Or c’est l’aubier qui contient la sève élaborée redescendant de la ramure.

Bon, malgré tout, à propos de l’éventuelle colonisation par des insectes xylophages, ne nous mettons pas « martel en tête » car un joug, c’est fait pour servir ! Or, selon une maxime populaire « bois qui travaille ne cussoune pas ». (Ne prends par les vers.)

Il faut par contre se méfier du bois trempé (ou flotté, selon les façons de dire) lorsqu’on a terminé de le travailler et qu’il va débuter son séchage. Celui-ci est bien plus rapide qu’avec du bois non trempé, car dans le dernier cas, la sève, visqueuse, freine le séchage. Dans l’autre cas, rincé de sa sève, l’eau en sort très vite, comme d’une éponge.

Selon les dires d’anciens, le bois ayant trempé est plus dur une fois sec qu’un bois de même essence n’ayant pas trempé ; ce qu’il me semble avoir vérifié, mais c’est une notion assez subjective en l’absence de la mise en œuvre de tests à la rigueur scientifique.

Aujourd’hui.

Aujourd’hui, les choses dont je viens de traiter dans les deux paragraphes précédents sont largement tombées en désuétude. Même les menuisiers se font rare puisque les meubles et menuiseries ou ersatz de ceux-là, ne sont plus en « bois de pays », mais importés souvent de bien loin par des « chaînes » de grand magasins spécialisés. Le remembrement commandité il y a quelques décennies et la « rationalisation » de l’agriculture nécessaire à sa mécanisation motorisée sont passés par là. J’insiste sur mécanisation motorisée, car la mécanisation « seule » existait déjà depuis un temps plus ou moins long selon les régions. Une faneuse tirée par un ou des animaux n’est-elle pas déjà une machine mécanique ? Pour ce qui est de la mécanisation motorisée, encore faudrait-il préciser : celle liée aux moteurs à combustion interne (essence ou diesel), car là-encore les machines à vapeur avaient déjà colonisé les campagnes mais avec un « impact » bien différent. Enfin, tout cela est une autre histoire!

Difficile donc de nos jours de s’approvisionner!

Pourtant les beaux arbres ne manquent pas tant que ça. Mais ils sont souvent à quelqu’un d’autre !

Et puis, même les pieds de billes partent en bois de feu, vu qu’ils ne valent quasiment plus rien d’autre. Pourquoi s’embêter à aller chercher l’arbre ? Combien de fois ai-je entendu des gens dire, parfois en se vantant même, « mais ça, on s’emmerde pas, on le crame ! »

Evidemment, on ne peut pas contester le fait qu’il est largement plus commode d’aller acheter du résineux plus ou moins prêt à l’emploi chez un marchand de matériaux, lorsqu’on a besoin de bois d’œuvre, que d’aller abattre avec soin un feuillus approprié (voire un résineux), le sortir de la coupe, le faire scier ou le dégrossir à la hache puis le faire sécher, là aussi avec soin, où le mettre à conserver dans l’eau !

Chez René Alibert il y a quelques années. Morceau de bois fraîchement sorti de l’eau dans laquelle il avait été mis déjà fendu. Celui-ci donnera un joug de taille modeste. Il a pour litière les copeaux des jougs précédents. On devine son galbe naturel, dans lequel sera placé le galbe fonctionnel du futur joug.

 

De l’intérêt des jougs massifs.

Les arguments que je vais présenter en faveur des jougs massifs sont beaucoup plus subjectifs que les arguments « techniques » que l’on peut trouver aux jougs en lamellé.

Je vais d’ailleurs commencer par une précision en revenant sur un procédé qu’aborde Michel. Les jougs massifs peuvent et ont très souvent été boulonnés depuis que ces méthodes sont accessibles. Il n’est pas rare de voir des vieux jougs « ferraillés ». La pose de boulons ou autres éléments de renforts actifs ou passifs (chevilles, clous, tôles de préservation contre l’usure du timon ou de la cheville métallique d’attelage …) peut très bien se faire dès l’origine. C’était même d’un usage quasi systématique dans les régions utilisant des anneaux et chevilles d’attelage métalliques.

Pour suivre, il me faut préciser quelle fut ma motivation d’apprendre avec René Alibert : empêcher que le savoir-faire ne se perde. Depuis tout petit, je suis très attiré par les métiers manuels et anciens.

Partant de là, il est logique pour moi de continuer, comme René me l’a transmis, même si mon côté « technicien » comprends très bien les intérêts du bois collé.

De même, vu qu’un joug est un outil de paysan, cela me semble logique de continuer dans le sens d’une agriculture paysanne où les arbres ne sont pas relégués aux seules forêts mais font partie intégrante du paysage, bordent les champs et les prés. Une agriculture où ils ne sont pas seulement considérés comme futur combustible ou future matière première de l’industrie, mais comme un tout, en commençant par leur utilité (et leur beauté) de leur vivant, puis par la possibilité pour les beaux sujets de fournir du bois d’œuvre pour un artisanat le plus local possible.

Utiliser du bois massif, local, c’est d’une certaine manière aller dans le sens d’une agriculture paysanne.

Le second argument découle un peu du premier : un joug en bois massif peut être construit par un Homme seul, disposant de peu de moyens techniques, se passant de la filière industrielle et utilisant des outils exclusivement manuels en nombre restreint et fabricables de manière artisanale avec un coût de matières premières accessible et un bilan énergétique global soutenable à grande échelle.

Les déchets que sa fabrication génère sont seulement des copeaux, sans colle ou produits chimiques de synthèse. Son seul « traitement » a été le trempage. En fin de fabrication, le joug était aussi parfois « flambusqué » après onction de gras animal. (D’huile de vidange dans les dernières années !)

Ce schéma de fabrication est donc reproductible à très grande échelle et accessible au commun des mortels, (Ce qui est déjà le cas dans nombre de pays) quelle que soit la conjoncture globale du CAC 40 et le niveau de croissance des pays de l’OCDE !

Ceci peut paraître utopiste, passéiste, … Je sais. Cela mérite tout de même d’être considéré.

« Ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre. » Spinoza.

Je termine cet argument par une petite analogie. À l’époque pas si lointaine de mes grands-parents, toute proche en fait, il faut bien le dire, (on ne peut pas considérer l’humanité seulement depuis le début du XXème siècle ou la généralisation d’un e-machin/chose) et bien en ce temps-là, les gens un tant soit peu dégourdis se débrouillaient quasiment de tout, avec quasiment rien. De nos jours, en France et bien d’autres pays, nous avons « tout » (ou du moins énormément de moyens technologiques et de confort matériel) pour faire … dont je ne vois pas très bien la finalité à long terme.

Dernier des arguments, encore plus subjectif : la beauté. Je ne dis pas que les jougs en lamellé ne sont pas beaux, loin de là, ils ont également leur beauté propre. Mais pour moi, c’est différent. Ce procédé me touche beaucoup plus dans d’autres applications, comme pour une hélice d’avion par exemple. Bon je sais, il n’y en a plus beaucoup en bois, on va encore me traiter de passéiste nostalgique!

Les jougs massifs ont une beauté plus simple, forcément. Quelqu’un de curieux peut deviner par lui-même dans quel secteur de la bille a été taillé le joug, compter l’âge du « morceau de bois restant », s’émerveiller de telles ou telles veines et les suivre d’un bout à l’autre …

Voici quelques photos faisant « le tour de la question »:

Je ne voudrais pas que ce texte laisse penser que je critique négativement l’intention de Michel. C’est tout à son honneur d’œuvrer sur plusieurs plans et de manière si active, pour que continue de vivre tout ce pan des connaissances et savoir-faire humain. Par contre j’ai voulu donner quelques arguments pour la méthode traditionnelle, ne serait-ce que communiquer à son sujet et par conséquent participer à ce qu’elle continue d’exister et de servir.

Lionel Rouanet

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A voir aussi:

« La géométrie de jougs occitans » 

« Deux génisses Rouergates parties faire leurs études à l’université de Méras en Ariège viennent de rentrer au pays » 

« Réglage d’un joug neuf Alibert, chez Laurent Janaudy à Manziat (01) »

Mesures de l’effort de traction des boeufs de travail publiées dans « Les boeufs de travail de la race Aubrac au concours de Rodez », Journal d’agriculture pratique 1907, Max Ringelmann

Voici un document ancien communiqué par Laurent Avon tiré du « Journal d’agriculture pratique » du premier semestre 1907, consacré aux boeufs de travail Aubracs au concours de Rodez.

C’est un des rares documents qui aborde la mesure dynamométrique des efforts de traction des boeufs de travail

Merci à Laurent Avon pour sa collaboration précieuse.

Document PDF : ringelmann-rodez

Livre qui le publie :

Titre :  Annales de l’Institut national agronomique : administration, enseignement et recherche
Auteur  :  Institut national agronomique Paris-Grignon. Auteur du texte
Éditeur  :  Institut national agronomique (Paris)
Éditeur  :  Berger-Levrault (Paris)
Éditeur  :  J.-B. Baillière (Paris)
Date d’édition :  1913
Type :  texte
Type :  publication en série imprimée
Langue  :  français 
Description :  1913
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