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Systèmes d’attelage et matériel de traction animale par Paul Starkey

Vous pouvez télécharger cette étude de référence sur la traction animale de Paul Starkley. Elle est très documentée et particulièrement axée sur la traction bovine.

Bien qu’elle aborde l’aspect du développement des pays pauvres, elle nous donne ici un travail fouillé sur les jougs, les efforts de traction ainsi que tous les aspects techniques.

Publié en 1994, 278 pages, 128 photographies, 255 schémas, 333 références, 135 adresses, par » German Appropriate Technology Exchange (a division of GTZ) by: Friedrich Vieweg & Sohn Verlagsgesellschaft mbH ».

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« Cet ouvrage, abondament illustré, nous offre l’étude la plus complète qui ait été réalisée au cours de ces dernières années sur les techniques d’attelage et le matériel de traction animale. L’auteur passe en revue les différents systèmes d’attelage pour bovins, équinés, asins, chameaux et buffles, et toute une gamme de matériel (de culture, semoirs, charrettes), et autres technologies utilisant l’énergie animale.

Il indique au lecteur, pour chaque thème traité, les définitions et termes employés, les dernières réalisations, les choix au niveau des technologies, et les différentes options en matière de conception, dont il analyse l’éducation dans les systèmes de production effectivement pratiqués.

Il aborde également les problèmes de fond engendrés par le choix ou la conception du matériel, ceux liés aux politiques menées en matière de recherche, et les questions relatives à la fabrication du matériel et à sa distribution. Paul Starkey nous propose ici une approche originale et pragmatique qui remet en cause bien des idées reçues.

Il invite le lecteur à envisager la traction animale comme le ferait un paysan, et à reconsidérer, à la lumière des expériences du passé, les futures priorités des projets de développement, des institutions de recherche et des programmes de vulgarisation. Les centaines de photographies et de schémas, judicieusement sélectionnés pour accompagner le texte, permettent d’illustrer soigneusement tous les sujets et rendent cet ouvrage intéressant pour un large public.

Malgré la richesse de l’information qu’il nous fournit, l’auteur s’emploie à inciter le lecteur à approfondir encore plus avant, les sujets qui l’intéressent plus particulièrement et, pour ce faire, il indique, pour chaque thème traité, d’autres lectures, et donne les noms et adresses d’organismes menant des activités dans le domaine concerné.

Tout ceci fait de ce livre un ouvrage faisant autorité et dont la valeur est inestimable en tant qu’ouvrage de référence. »

« Bien écrit et illustré, une mine d’information dans un style clair, cohérent et critique: hautement recommandé à quiconque s’intéressant aux animaux de trait » – Draught Animal News 

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Allez voir aussi les nombreux autres ouvrages du même réseau, sur la traction animale, en cliquant ici.

Géométrie des jougs occitans, par Lionel Rouanet

  

Le mot joug fait immanquablement penser à la notion de servitude, par l’utilisation qui en est faite de nos jours, principalement au sens second.

Si cette notion n’est pas fausse, elle ne doit en tout cas absolument pas conduire à l’idée reçue de « souffrance ». D’un point de vue pratique, un joug, au même titre qu’un collier pour les équidés, n’a évidemment aucun intérêt à faire souffrir (ni même à l’insu de l’utilisateur), car son but est bien de tirer partie au mieux de la force des animaux.

C’est pourquoi les jougs, en particulier les jougs coiffants (coiffant les oreilles, voir illustrations) ont une géométrie si particulière. Leurs formes ne sont pas le fruit du hasard, en grande majorité fonctionnelles, elles laissent néanmoins de la place au côté artistique du modèle propre à chaque « pays », chaque artisan. C’est sur les jougs coiffants du sud de la France, d’Occitanie, (« Midi, Centre-Ouest ») que va porter cet article ; plus particulièrement sur ceux d’Aveyron, ce qui veut dire de nos jours, des jougs « Alibert » (pour des jougs neufs évidemment).

Il ne faut pas croire que l’Occitanie n’ait connu ou ne connaisse encore que des jougs coiffants stéréotypés. Si des cousins du modèle Alibert sont légion dans l’Aveyron, le sud du Massif Central, le Tarn, un peu l’Ariège et d’autres endroits encore, on trouve également en grand nombre, des modèles moins coiffants, aux formes plus simples, notamment dans la zone pyrénéenne. Ces derniers prennent alors parfois le nom de « Jouattes » comme dans le Comminges(31) et le Couserans (09).

Il se trouve à l’écomusée d’Alzen, dans l’Ariège, une belle collection de jougs méridionaux dont la plupart des modèles viennent du collectage d’Olivier Courthiade.

I – Localisation et dénomination des différentes parties d’un joug.

Les différentes parties numérotées sur la figure 1 sont listées ci-dessous avec leur nom en français, puis en occitan, suivi entre parenthèses de la prononciation.

Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.

 

1) Embanures – Baneiras (baneïros).

Logements destinés à recevoir les cornes. Les embanures ont un rôle de mise en position de la tête de chaque bovin l’un par rapport à l’autre. Ce sont les « surfaces de références ».

2) Suca (suco), pas de nom utilisé en français.

La suco coiffe le chignon de chaque bête mais ne doit pas le toucher. C’est une partie plutôt d’ornement, mais ne demandant pas pour cela une section initiale de bois plus importante, car ses côtés, à même niveau,

sont indispensables au bon guidage des courroies sur les cornes. Si les cornes des bêtes partent d’abord un peu sur l’arrière, avant de s’incurver vers l’avant, il se peut que la suco se retrouve juste derrière le chignon.

3) Capet (capét), pas de nom utilisé en français. C’est la partie du joug au dessus de chaque tête.

Comme bien d’autres parties du joug, elle doit être aussi mince que possible afin de conférer de la légèreté à l’ensemble. La limite minimale étant bien entendu donnée par la capacité de résistance. Sur l’arrière, le milieu des capets se termine par une nervure, bien en saillie, qui empêche la tendance que pourraient avoir les courroies à glisser sur le cou des bêtes.

4) Trou de passage pour la méjane – Mejana (médjano).

La méjane est une forte courroie de cuir avec un système de boucle pour la fermer, comme une ceinture. Elle permet de pendre les deux anneaux dans lesquels passent le timon. Il existe d’autres manières de pendre les anneaux qui seront abordées plus spécifiquement dans un autre article.

 5) Joues – Maisas (maïsos).

Les joues viennent contre les oreilles de la bête, rabattues sur l’arrière. Les oreilles ainsi plaquées, mais non serrées, permettent de faire amortisseur entre le crâne et le joug.

 6) Capière – capièira (capièiro).

Ce sont tout simplement les emplacements qui reçoivent la tête des bêtes. Les joues font partie des capières.

 7) Chemin de passage des courroies vers le front et vers les cornes.

Les courroies sont souvent appelées juilles dans le Midi, par dérivation du nom occitan julhas (julios).

8) Chemin de passage des courroies depuis les cornes vers l’arrière (ou vice-versa) afin qu’elles fassent le tour du joug.

 9) Catel ou tenon – catel (catel) ou coeton (couetou)

Il y en a un de chaque côté. Ils permettent de terminer de lier les juilles, en les y nouant par deux demi-clefs.

II – Caractéristiques générales :

1) La pointure. (voir figure 2)

Les jougs de nuques doivent « mouler » la tête des animaux et, comme pour nous des chaussures, ils doivent être particulièrement bien ajustés afin de ne pas blesser. Ils doivent être ergonomiques. Il y a donc plusieurs pointures ou tailles de jougs. Celles-ci se mesurent juste derrière les embanures entre les joues. De nos jours, la plage des pointures part de 26, 27 pour des jeunes bêtes ou des petites vaches, jusqu’à un maximum assez rare de 35, 36 pour de gros boeufs.


2) Zone où doit porter le joug sur les têtes. (voir figure 2)

Bien entendu, le joug doit porter sur les cornes, mais également sur le cou des bêtes. Seules ces zones doivent supporter le poids du joug ainsi que la composante verticale de la charge transmise par le timon. Partout ailleurs, il ne doit pas y avoir contact. Au niveau de ces zones, qui forment grosso modo un triangle à l’arrière des capières, le joug doit épouser au mieux la forme des cous, afin que leur écrasement sous la charge soit le plus faible et le moins contraignant possible. Il doit aussi porter identiquement sur chaque bête. Si c’est le cas, en regardant la paire de côté, les chanfreins sont alignés.

3) Zone où doivent porter les cornes. (voir figure 3)

Les cornes, dans les embanures, ne doivent pas porter sur leur naissance, près du crâne, qui est une zone plus tendre et fragile, souvent craquelée, mais à quelques centimètres de là.


4) Mise en position, maintien en position, traction.

Les surfaces décrites dans les deux paragraphes précédents permettent d’effectuer la mise en position des bêtes par rapport au joug, afin de conférer la meilleure ergonomie possible. Les courroies, quant à elles, assurent deux rôles: le maintien en position, plus particulièrement pour celles passant sur les cornes et la réception de l’effort de traction pour celles passant sur le front. On ne doit pas considérer qu’un bovin tire grâce à ses cornes. C’est quasi essentiellement le front qui doit effectuer ce travail.

5) Les galbes d’un joug.

Un joug dans son allure générale doit posséder deux courbures, l’une vue de dessus, l’autre vue de face. Ces courbures se considèrent par rapport aux placements des cornes : les embanures.

Le galbe vu de dessus a deux utilités : (voir figure 4)


– premièrement, permettre le croisement des cornes des bêtes dans la partie médiane du joug (voir figure 3). On constate à ce propos, que les jougs des zones montagneuses ou collinaires ont le galbe vu de dessus généralement plus prononcé que ceux des plaines, car les chemins y étant plus étroits, les bêtes devaient marcher plus rapprochées et de fait, les cornes obligatoirement se croiser. La race des bêtes et la forme de leurs cornes influent évidemment aussi.

Afin de soigner au mieux le croisement des cornes, les lignes passant par le fond des embanures ne sont pas symétriques, l’une « regarde » plus en arrière que l’autre : l’embanure intérieure de la bête de droite est plus rentrée dans le bois que sa voisine.

– deuxièmement, donner un peu de maniabilité à la paire, en virage, car leurs axes longitudinaux ne sont pas parallèles mais se coupent plusieurs mètres au-devant.

Le galbe vu de devant (voir figure 5) permet lui aussi aux cornes de se croiser sans se toucher. Là aussi, les axes des têtes passant par les cornes ne sont pas symétriques, l’une des bêtes a la tête légèrement plus inclinée que l’autre. C’est généralement le cas de la bête de droite.

Il est apporté un soin tout particulier au placement des cornes, car c’est en grande partie grâce à cela que les bêtes se trouveront dans la posture qui fournira la plus grande capacité de traction possible, sans fatigue inutile. De plus les bêtes n’apprécient absolument pas que leur cornes se touchent car cela génère des vibrations qui se transmettent à la boîte crânienne.

6) Le caractère coiffant.

Les capièires sont de profondeur assez importante. Ainsi, leurs côtés (les joues) descendent au-delà de la naissance des oreilles qui, rabattues vers l’arrière, sont plaquées sur le bas de la nuque, et font office d’amortisseurs comme il a été précédemment écrit.


Ce caractère coiffant du joug ne sert pas qu’à enserrer les oreilles ; il permet également de rallonger vers le bas le chemin de guidage des juilles vers le front et ainsi de les aider à passer à mi-chemin environ entre les cornes et les yeux, soit juste au dessus des arcades sourcilières.

C’est lorsque les juilles sont à ce niveau sur le front que l’ergonomie et la capacité de traction sont les meilleures (du moins pour une grande majorité des races). Guidées de la sorte vers le front, les juilles ne blessent pas au niveau des tempes.

7) La manière de lier.


La juille, attachée à un clou faisant crochet à l’arrière du joug, dans la partie centrale, passe d’abord sur la corne intérieure, du bas vers le haut, puis est dirigée, par le croisement, vers l’arrière de la corne extérieure sur laquelle elle fait un tour. Ceci permet de rapidement « fermer la bête » dans le joug. La juille passe ensuite sur le front, fait un tour de la corne intérieure et revient à l’extérieur par l’arrière du joug. Voici le cycle. Selon les régions, on fait deux ou trois tours sur la corne extérieure et autant de passages sur le front. Le surplus de longueur de la juille est enroulé sur la corne intérieure, puis on termine en la dirigeant vers le catel sur lequel on l’arrête par deux demi-clefs. Afin de donner un peu d’adhérence au cuir sur ce dernier, certains avaient pour habitude d’y déposer un « brave escupit » (traduire par « crachat généreux »).

Les juilles doivent être le plus tendues possible, et ce, dès le premier tour.

 

8) Légèreté et résistance du joug

Un joug doit être aussi léger que possible pour ne pas charger inutilement la tête des bêtes et pour faciliter sa mise en place par le bouvier. Cependant la recherche de la légèreté ne doit pas se faire au détriment de la capacité de résistance. Le jougtier doit trouver le meilleur compromis. Pour cela, il doit essayer au plus possible de garder entière

la fibre du bois d’un bout à l’autre ; chose qui est rendue difficile par le galbe (vu de dessus). Il est avantageux d’utiliser, quand c’est possible, un tronc d’arbre légèrement cintré : le galbe du joug suit alors au maximum la courbure naturelle du tronc. La méthodologie de fabrication compte énormément dans l’obtention de jougs résistants. L’essence utilisée influe aussi. Un joug en bouleau, par exemple, qui est un bois léger, doit avoir certaines zones plus massives qu’un en frêne, qui est un bois lourd.

La capacité de résistance du bois dépend beaucoup de sa densité. Selon les régions, on utilise ou non des coussins frontaux. Le fait que le joug soit coiffant et que les juilles ne puissent donc pas blesser aux tempes, sous les cornes, (voir § 6) ne rend pas leur usage impératif. Malgré tout, à mon sens, leur emploi ne peut qu’être recommandé puisqu’ils augmentent la surface de répartition de l’effort de traction et donc réduisent la pression sur le front. Remarquez les cernes d’accroissement du bois. C’est ainsi disposé par rapport au tronc d’arbre d’origine, que le joug terminé garde le galbe des cernes dans la position offrant le meilleur compromis. Autant que possible, le coeur de l’arbre (au sens du centre, de la moelle) doit être absent du volume final ou le plus à l’extérieur possible, car il prête à faire fendre le reste de la section. Dans tout les cas, il doit être à l’arrière du joug, l’avant étant du côté de l’écorce.

III – Conclusion :

Je ne veux pas, par cet article, faire l’apologie d’un seul type de joug. Il est certain que le modèle que je viens de décrire est particulièrement abouti et ergonomique s’il est bien ajusté. Cependant, il a l’inconvénient de difficilement pouvoir servir, sans retouches, pour différentes paires. Ce n’est pas le cas des jouattes pyrénéennes, qui avec des emplacements de cornes peu ou pas marqués, peuvent aller bien plus aisément à plusieurs paires (avec même une certaine latitude dans la taille). En contrepartie, ces dernières ne sont jamais parfaitement ajustées, et ne permettent pas de soigner le croisement des cornes dans la partie centrale.


Si les jougs traditionnels de chaque région ne se ressemblent pas, c’est parce que leur évolution s’est faite en fonction de la morphologie des races locales. Ainsi, un joug occitan n’est pas particulièrement adapté à coiffer des boeufs ou vaches de race Bretonne (par exemple) car la forme de leurs cornes est très différente de celles des races pour lesquelles ils étaient traditionnellement conçus. A savoir, essentiellement les Aubrac, Gasconnes mais aussi Salers, Ferrandaises, Castas et d’autres encore. Je ne dis pas qu’un joug occitan ne peux pas coiffer des Bretons, la preuve en est que M. Alibert a bien ajusté un de ses jougs aux boeufs de M. Lehlé ; seulement, une fois finies, les embanures étaient dans une position jusqu’alors inconnue. En effet, traditionnellement, des bêtes ayant une encornure trop différente du standard de la race n’étaient pas gardées pour la traction. Surtout dans un département comme l’Aveyron où chaque paysan, bouvier, prêtait particulièrement attention à ce que sa paire « présente bien ». Ils étaient très fiers de l’esthétique de leurs animaux attelés, notamment de la manière dont se croisaient les cornes. Il y avait bien sûr des animaux aux cornes plus hautes que les autres qu’on appelait « cabrots » en référence aux cornes des chèvres, mais jamais un Aubrac cabrot n’aura une allure de Breton ! Ainsi il est quasiment improbable qu’un joug occitan convenant parfaitement à des Aubracs, puisse convenir à des Bretons de même taille.

Ces dernières lignes me permettent de revenir sur les coutumes. Nous venons de voir que la morphologie des races traditionnelles locales pouvait influer sur les différents modèles de jougs et favoriser certaines coutumes. Mais les coutumes elles–mêmes ont, certainement, par leur propre évolution, elles aussi à leur tour, influées sur l’évolution des modèles régionaux. Ainsi, si l’on observe les différentes méthodes de lier les animaux aux jougs, on constate des couples joug/méthode bien particuliers : emploi de gros coussins rembourrés coiffant nuque et front avec un joug assez sommaire dans les Vosges (un joug Vosgien utilisé sans coussin devient un véritable instrument de torture) ; juilles terminées par une corde fine (pour faire le noeud) dans le Charolais avec un joug sans catel ni cheville … De même, de façon générale, la manière de passer et enrouler les juilles sur le joug, est propre à un modèle. Qui de la manière, ou du modèle à influé sur le second ? …

Les informations contenues dans cet article, proviennent pour la plupart des connaissances et savoir-faire de René Alibert, un des derniers jougtiers en activité en France. Pendant son jeune âge, il fut quelques années jougtier professionnel aux côtés de son père Joseph qui exerça ce métier pendant une trentaine d’années, à plein-temps, en itinérant dans le Nord Aveyron. Il n’avait pas d’atelier. Joseph fabriquait environ 300 jougs par an, chez les « clients ».

Dans le milieu des années 50, il n’y avait plus assez de travail pour deux, alors René prit le chemin des ateliers industriels, puis ce fut le tour de son père quelques années plus tard. Arrivé à l’âge de la retraite, René se remit par passion à faire des jougs, « pour dépanner les gens et faire plaisir ». A 85 ans passés, il manie encore la hache et l’herminette, courbé avec souplesse.

Lionel Rouanet.

Merci à Lionel pour sa participation active et son soutien au site.

Cet article a également été  publié dans la revue « Sabots ».

Pliage des jougs

La manière de plier les liens des jougs (qu’on appelle plus communément plier les jougs) varie selon les régions et les personnes.

Certaines formes de jougs ont des liens qui ne sont pas fixés au joug de manière permanente. Dans ce cas les liens sont donc pliés à part du joug, en une grande boucle.

Dans le Charollais et le Brionnais, on avait plutôt l’habitude de plier les jougs très simplement en rassemblant les deux liens, en les entourant simultanément en une large boucle autour d’une des oreilles du joug et en arrêtant le tout par un tour de l’extrémité des liens autour du paquet de liens et d’une têtière.

Lors de nos rencontres avec Louis Moulignat, dès 2005, nous avons appris de lui une belle méthode de pliage « en huit », où chaque lien est plié en huit sur sa têtière respective. On peut par la même occasion, placer un coussin d’attelage (pieumet chez nous, frontiau en Bourbonnais) sous les liens à chaque têtière.

Photo Philippe Griot

Pour plier, on tient le joug piqué devant soit en le retenant entre les genoux par les cordets.

On réalise un huit avec le lien entre l’oreille du joug et sa main. On forme le huit en utilisant la main gauche pour le lien de gauche et la main droite pour le lien de droite.

Le fait de lier les liens sur les jougs peut présenter l’inconvénient de faire prendre de mauvaises formes au cuir, surtout pendant une longue période d’inutilisation.

 La méthode du Charollais pourrait donc paraître plus respectueuse de l’état des liens.

Nous vous présentons une vidéo, qui comme pour le liage, est beaucoup plus parlante que n’importe quel discours.

Article paru à l’origine le 19 Janvier 2013.

La fabrication des coussins d’attelage (pieumets)

Les coussins d’attelage appelés « pieumets » en Charollais Brionnais sont essentiels au confort de traction des animaux (voir l’article « les jougs et leurs accessoires en Charollais Brionnais »).Ils sont placés sur le front de l’animal, sous le premier lien.

Ils peuvent être fabriqués par les bourreliers en cuir, rembourrés et cousus.

Dans notre région, ils étaient plutôt fabriqués par les bouviers eux-mêmes. Ils utilisaient donc les matériaux disponibles dans leur environnement. Le plus utilisé était la paille de seigle. Produite sur les exploitations, elle présente aussi l’avantage d’avoir des brins longs qui permettent une réalisation plus facile.

On a trouvé aussi des pieumets anciens en laiche, une graminé de lieux humides.

pieumets anciens en laiche Saint Christophe en Brionnais

Jean Fournier en avait fabriqué avec son grand-père. Dans un premier temps il ne se souvenait pas de la technique. Mais après y avoir réfléchi quelque temps et après quelques essais, il nous a transmis à son tour le savoir-faire qu’il avait retrouvé.

La réalisation

étape 1

La première étape consiste à réaliser deux anneaux avec des brins d’environ un mètre vingt noués à leurs extrémités. Ces brins sont traditionnellement de la paille torsadée (« rôtée ») en un petit boudin de deux à trois centimètres de diamètre. Ils vont servir de base de montage des pieumets.

Les deux anneaux ici montés sur un bâti miniature avec les deux boulons à la place du genoux et du pied

Ils sont noués en les plaçant entre le dessous du pied et le dessus du genou. On prend soin de disposer le noeud de l’un sur le genou et le noeud de l’autre sous le pied.

Attention à bien maintenir les anneaux l’un contre l’autre de chaque côté de la jambe comme s’ils ne formaient qu’un, afin qu’ils constituent deux axes, supports de tressage.

montage des brins torsadés (ici en ficelle de cisal pour la démonstration) par Jean Fournier sur les anneaux de base tendus sur le genou

étape 2

On prépare l’un après l’autre, d’autres brins torsadés légèrement plus gros que ceux des deux anneaux (quatre à cinq centimètres) en prenant soin de mettre les pieds des épis tous du même côté.

Ces brins vont être tressés en huit en passant dessous/ dessus autour des anneaux de base:

1 on passe le premier brin torsadé en le tenant côté pieds des épis, entre les deux anneaux de base et on l’appuie sur l’anneau qui se trouve dessous, en laissant dépasser environ vingt centimètres.

 2 On passe une fois dessous/dessus autour du brin de l’anneau de base opposé à celui où l’on a appuyé le brin torsadé (cf étape 1)

3 on tourne dessous/dessus autour du brin de l’anneau de base opposé (côté pieds des épis)

 4 on ressort le brin torsadé (c’est le côté épis) une dernière fois sous l’anneau de base opposé à celui sur lequel on s’est appuyé au début.

On renouvelle l’opération avec de nouveaux brins jusqu’à obtenir une largeur correspondant au front des animaux. En général, suivant la grosseur des brins torsadés, on passe huit ou neuf brins torsadés.

 

Les cinqs premiers brins torsadés sont passés

étape 3

     Il faut maintenant solidariser, en serrant, les brins torsadés passés entre les anneaux de base.

Le serrage s’obtient grâce aux deux anneaux de base.

1 On dégage du pied l’anneau qui n’a pas le noeud.

2 On dégage de la main l’anneau qui n’a pas le noeud.

3 On tire à la main sur l’anneau qu’on a dans les mains. L’autre noeud resté sous le pied bloque pour permettre le serrage. L’ensemble des brins torsadés qu’on a tressés en huit, se trouve serré en tenaille entre les deux anneaux de base.

4 L’un après l’autre, on défait les noeuds des anneaux de base et on refait un double noeud au ras des brins torsadés en les serrant au maximum.

     étape 4

 On se trouve avec un coussin qui a, d’un côté, les épis des brins torsadés qu’on vient de serrer et nouer. De l’autre, on trouve les pieds des épis des brins torsadés.

 

1 La longueur qui reste des brins des anneaux de base une fois liés, est ramenée et liée avec les brins qui dépassent côté épis.

2 On peut alors lier ensemble tous les brins côté épis pour former un petit toupet. On peut aussi les partager en deux parts égales et former ainsi deux petits toupets. Il est préférable de lier avec un fil de fer fin. Il faut prendre garde de bien l’arrêter de manière à ce qu’il ne dépasse pas de partie blessante.

En liant, on donne un petit galbe au coussin avant de serrer le fil de fer qui fixera le réglage du galbe.

3 Il reste maintenant à égaliser la longueur des brins côté pieds des épis des brins torsadés. On en profite pour régler, en tirant plus ou moins desssus, la longueur définitive des brins tressés en huit afin d’avoir une pièce harmonieuse dans sa forme.

 

Comme les pieumets vont par deux, il faut toujours veiller à ce que les dimensions soient les même entre les deux pièces.

pieumets réalisés en laiche

Il faut aussi bien maintenir les torsades des brins pendant qu’on les travaille, c’est ce qui fait leur solidité.

On peut aussi fabriquer les pieumets en utilisant à la place de la jambe, les deux pieds d’une échelle, ou mieux un petit bâti en bois qui permet de disposer les deux anneaux de base.

bâti de montage en bois    

Taille d’un joug vache / boeuf par Michel Nioulou

Comme nous attelons notre boeuf Froment avec notre vache Azalée et devant la différence d’encornage des deux animaux, Michel Nioulou a dû faire la taille d’un joug spécial avec des têtières de tailles différentes.

Il est en hêtre. Voici quelques photos de sa taille.

     

On voit bien la différence de taille des têtières entre le côté vache (à gauche) et le côté boeuf (à droite)

Têtière côté boeuf

 

le joug une fois mis en peinture

Premier liage avec le nouveau joug à la Garaudaine lors du printemps du bio le 9 juin 2012

(photo Isabelle Billoux)

(photo Armand Delécluse)

Taille d’un joug

Le joug en service après quelques réglages aux passages de cornes à la fête de l’âne à Baron le 8 Juillet 2012 avec Froment et Azalée

(photo Armand Delécluse)

Article paru à l’origine le 7 Mars 2012.

Froment, un boeuf au joug

Nous attelons des vaches depuis 2005. Après Vérité et Valentie, Annabelle et Azalée, nous avions commencé de dresser une paire de boeuf en 2008.

Après un début de mise en confiance et une mise au joug, l’un des deux est devenu très craintif à l’égard de Michel Nioulou malgré un travail doux et mesuré. Il n’était donc pas possible de continuer le dressage.

Un des premiers liages de la première paire de boeufs dans la stabulation de l’exploitation

A la même période, une paire de jumeaux mâles naît sur l’exploitation. Laurent décide alors de les préparer dès leur plus jeune âge pour pouvoir les lier à terme.

Nous décidons de les nommer Papillon et Froment.

 Froment dès le début, est le plus calme et le plus doux.

Dès leurs deux ans, il sont mis au joug de temps en temps et rapidement mis au timon du tombereau. 

Tout se passe bien dans les petits chemins autour de l’exploitation et dans les prés.

 Froment et Papillon au départ de vendenesse pour la Garaudaine à Charolles

Mais rapidement, il apparaît que Papillon est craintif devant l’imprévu et sur les obstacles. Sans être à première vue dangereux, il reste constamment « sur l’oeil », alors que Froment est d’une placidité à toute épreuve.

  Froment et Papillon pendant le dressage

froment boeuf au joug

 Froment et Papillon après un retour depuis vendenesse à La ferme de la Garaudaine

 Froment et Papillon aux journées portes ouvertes de la cave du père Tienne chez Agnès et Eric Panay à Sologny (71) pendant la phase de mise en contact du public.

        En 2011 après quelques sorties en ville et dans des environnements avec du public (portes ouvertes à la cave du père Tienne), Papillon se comporte avec crainte. Nous décidons donc d’arrêter de l’atteler vu notre présence fréquente dans la foule.

Nous travaillons donc actuellement avec Froment lié à Azallée. Cette paire, à priori dépareillée, ne manque pourtant pas d’intérêt. Ces deux animaux pour le moment d’une taille semblable sont très calmes, agréables, dociles et proches de nous. 

Papillon à gauche sur la photo et Azalée au tombereau à Charolles en Octobre 2011

boeuf au joug

Froment et Azalée ont été filmé à la fin d’une scéance de travail au tombereau.

Préparation au passage d’un gué pour Annabelle et Azalée

Nous devions, pour réaliser le transport du vin du domaine des vignes du Maynes jusqu’à Cluny le 13 juin 2010 (voir article du blog en cliquant ici), passer un gué sur la rivière Grosne.

Nos vaches n’avaient encore jamais passé de rivière en étant liées. Pour les préparer à cela, nous avons, quelques temps avant, emmené Annabelle et Azalée passer un gué près de Charolles.

Nous les avons déjà fait passer à la corde sans difficulté. Ensuite nous les avons liées et le passage dans l’eau n’a présenté aucun problème.

Nous vous présentons un petit montage du moment, accompagné de la musique du groupe « Rêves de mai » (03 85 34 16 04).

Premier liage de Vérité et Valentie

Premier liage de Vérité et Valentie

Vérité et valentie au dressage en 2005

Après avoir fait travailler les deux génisses de dix huit mois à la corde pendant quelques semaines, nous avions posé pendant quelques jours les « copes de dzoug » (les coupes de joug sont des demi jougs)sur la tête des bêtes (voir l’article sur le dressage).

Le 22 août 2005, le jour est arrivé de lier les animaux au joug.

Jean Fournier, qui nous conseille et encourage depuis le début, est là.

Après quelques hésitations, il retrouve la méthode de liage que son père lui avait apprise. Il nous la transmet à son tour pour lier nos deux génisses.

Nous avons ce jour-là, utilisé un joug découpé charollais que Jean et son père utilisaient sur leur exploitation jusque vers 1955.

Cette vidéo est celle du premier liage et des premiers pas de Vérité et Valentie liées ensemble sous le joug.

Pendant la séance, les génisses et nous, prenons nos marques, tâtonnons sous les yeux ravis de Jean Fournier qui, jamais, n’aurait pensé lier à nouveau des animaux.

Cette séquence vidéo comporte certainement beaucoup d’erreurs de débutants que nous étions. Que les bouviers avertis ne nous en tiennent pas rigueur, notre bonheur et celui de Jean étaient plus fort que nos faux pas d’apprentis bouviers

 

Article paru à l’origine le 24 juillet 2011. 

Chargement des grumes « à la roule »

Les méthodes traditionnelles de chargement des grumes de bois sont nombreuses:

  •                crics
  •                chèvres
  •                basculement des chars (déverse)
  •                chargement à la roule

Il nous arrive de réaliser des chargements à la roule.

méthodes pour Chargement des grumes

Le principe est simple.

On utilise un char de débardage dont les quatre roues sont plus fortes et plus basses que celles d’un char classique.

On dispose deux rondins solides sur chacune des roues d’un côté du char afin de faire une rampe de chargement.

Si les troncs ne sont pas trop lourds, on fixe à chaque roue du côté des rondins, les extrémités d’une seule chaîne (ou corde). Celle-ci est étalée au sol afin de pouvoir placer la grume dessus en l’approchant avec les vaches à la chaîne.

Ensuite la corde est rabattue sur le côté opposé. 

On attelle une paire de bovins à l’extrémité de la corde ou de la chaîne afin de pouvoir hisser le tronc qui va prendre appui sur les rondins et monter sur ceux-ci en coulissant à l’intérieur de la boucle formée par la corde.

Chargement avec Annabelle et Azalée

Si les troncs sont gros et lourds on utilise le même principe de traction mais avec une chaîne à chaque roue et une paire de bovins à chaque extrémité.

Au fur et à mesure du chargement, les points d’ancrages de la corde ou des chaînes sont changés afin de pouvoir hisser les dernières grumes au sommet du char.

Au chargement, du fait de la forme irrégulière des bois, il faut compenser l’avancement irrégulier du tronc sur les rondins en dirigeant l’attelage du côté opposé au côté de la grume qui monte le moins vite.

Pour le déchargement des grumes de tailles raisonnables nous pratiquons l’opération inverse en ajoutant simplement des cales entre la grume et les traverses avant et arrière du char afin de faciliter le roulement jusqu’à la roue.

déchargement avec Annabelle et Azalée

Au cours des chargements de grumes, quelle que soit la méthode employée, le matériel subit de fortes contraintes et souffre énormément.

Il faut arrêter de tirer dès que la grume est sur le char sinon, on lève, et au pire, on verse le char.

Le char que nous utilisons vient de la commune de Varennes sous Dun et a été refait par nos soins (aiguille ferrée, bras de mécanique, coulisse de train avant).

Chargement des grumes

Notre expérience en la matière est bien modeste, mais elle permet cependant de montrer au public le chargement de lourdes grumes sans grues ni fourches de tracteurs.

Les chants à mener les boeufs: boiteries, tchaulages, briolages, dariolages…..

Les chants à mener les boeufs :

Les boiteries sont des chants qui étaient utilisés pour inciter les vaches ou les boeufs au travail. Ces pratiques musicales étaient appelées de différents noms selon les régions: 

  •        boiteries ou tchaulage en Charollais Brionnais
  •        briolage en Berry
  •        dariolage en Vendée
  •        bahotage en Bretagne
  •        chanchari en Guadeloupe

Un colloque consacré à ces pratiques s’est déroulé en Vendée du 7 au 10 octobre 2010. (voir le lien avec Arexcpo dans la colonne de gauche)

Nous y avons participé indirectement grâce aux contacts que nous entretenons avec les organisateurs et participants: Jean Pierre Bertrand président d’Ethnodoc en vendée, Mic Baudimant musicien chanteur Berrichon, merveilleux « brioleux »et de Michel Colleu coordinateur de l’OPCI (office du patrimoine culturel immatériel). Nous avons présenté le texte qui suit, accompagné d’un petit historique sur les attelages bovins dans le Charollais Brionnais (que vous retrouvez dans ses grandes lignes dans l’article de notre blog « 2005 la renaissance de l’attelage bovin à Charolles »).

 

Voici le lien avec le site de l’éditeur du livre issu de ce coloque, auquel nous avons collaboré.

Il s’intitule:  LE CHANT DE PLEIN AIR DES LABOUREUR

Vous trouverez le lien en cliquant ici.

les boiteries en Charollais

      Contrairement à d’autres régions de France, le Charollais Brionnais a été très peu collecté musicalement.

     Dans les années 1955-60, René Horiot, du GSAC (groupe spéléo archéologique du Charollais) a réalisé une campagne de collectage. Parmi les enregistrements on trouve quelques boiteries. C’est par le biais du GSAC qu’on sait que ces chants d’encouragement aux animaux sont nommés ainsi.

    Un document de synthèse de leur collectage présente une interprétation des collecteurs sur le sens et l’origine de ces chants de travail. En voici le texte:

Nous ignorons si ce nom est employé ailleurs qu’en Charollais où il désigne ces chants bucoliques servant autrefois aux bouviers pour activer leurs bœufs. En effet, si des poètes ont chanté le pas paisible et lent de ces animaux, il faut savoir que cette lenteur n’était pas souhaitable pour les travaux des champs effectués grâce à ces attelages et, pour les actionner, les bouviers n’avaient que deux moyens ; l’aiguillon (ou guidze en dialecte charolais) et la voix. L’aiguillon ne pouvant pas être employé continuellement, restait la voix, et force était aux bouviers de se faire entendre sans cesse, sinon l’attelage ralentissait.

Pour ce faire, chacun avait sa méthode. Certains criaient un peu n’importe quoi en plus de divers ordres, d’autres entremêlaient ces criailleries de jurons. D’autres encore juraient sans cesse comme des possédés, et, à ce propos, nous connaissons le cas d’un fermier Palingeois qui agissait ainsi… mais comme sa ferme était proche du château de Digoine, ses vociférations y étaient entendues, si bien qu’après lui en avoir fait en vain plusieurs observations, la châtelaine d’alors lui refusa pour cette raison le renouvellement de son bail !

Heureusement, d’autres bouviers chantaient. Il s’agissait de chants improvisés qui parfois n’étaient que de simples vocalises, et parfois un mélange de paroles et de vocalises. Bien entendu, ceux qui étaient dotés d’une belle voix en profitaient pour se faire entendre, et l’inspiration du moment leur dictait certaines paroles qui, suivant les circonstances, revenaient ou variaient souvent. Et comme les champs cultivés n’étaient pas très loin les uns des autres, il y avait parfois de l’un à l’autre de véritables concours de chants bucoliques…. Ces moments pouvaient être d’une beauté qui, hélas, ne se retrouvera plus.

Il est bien dommage que rien n’ait été recueilli de ces boiteries. Nous ne sommes en mesure que d’en donner quatre exemples de valeurs bien différentes. La plus belle étant celle due au bouvier charolais Fayard, qu’heureusement le folkloriste Gabriel Roberjon fit noter à l’époque par le chef de musique Badin. Nous n’avons pu qu’apercevoir ce document peu avant le décès de Gabriel Roberjon, mais heureusement sa nièce Mademoiselle Madeleine Sabatier en connaissait l’essentiel qu’elle a pu nous chanter.

Ces quatre exemples que nous donnons ont été recueillis dans des lieux fort éloignés les uns des autres, et trois seulement possèdent des paroles parmi lesquelles la vocalise « Olé » (d’où en découle Léo) revient chaque fois. Or cette vocalise est très usitée en Espagne, et c’est pourquoi certains ont voulu y voir une survivance de l’époque où le Comté du Charollais appartenait à l’Espagne…. Ce qui nous ferait remonter bien loin dans le temps ! Mais nous ne prenons pas parti sur ce point et nous nous bornons à le signaler.

Quant à l’expression signifiant nous irons, nous reviendrons que l’on retrouve aussi, c’est la description de la plupart des travaux des champs qui nécessitent de continuelles allées et venues. Cette description forme évidemment la base de l’inspiration des chanteurs qui pouvaient aussi faire allusion à des occupations d’un autre genre. Exemple : « Nous irons dans le Brionnais chercher du foin pour les Charollais ».

René Horiot

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     Voici les enregistrements de boiteries du GSAC effectués entre 1950 et 1960. La qualité sonore n’est pas bonne mais les documents sont précieux.

boiterie n°1

la la la

boiterie n°2

Oh nos érant dans l’Brionnais                               

oh nous irons dans le Brionnais

Tseurtsi du foin p’les tsarollais mon cabet

chercher du foin pour lesCharollais mon cabet

Oh la lé lon lé

oh nos érant nos rveindrans

oh nous irons nous reviendrons

mes bus biancs

mes boeufs blancs

    

boiterie n°3

tra la la la……

oh nos irans

oh nos rveindrans

oh mes ptchets bus biancs

oh lé lé hé

lo lé lé oh 

hue la hue ah tché hue la

(« tché » est l’appel couramment utilisé dans la région pour appeler les vaches au pré pour les faire venir à soi)

                        

boiterie n°4

 

C’est la version la plus difficile à dépouiller du fait de la mauvaise qualité sonore: la transcription est incertaine.

les deux boeufs de dvant

valant bein 600 francs (ou tout autant)

les deux jolis veaux (ou bus,)

valant bein autant

les deux du darri

les deux du derrière

les valant bein ari

les valent bien aussi

oh lé oh lé oh lé

………………

nos rveindrans

oh lé oh lé

……………

      Mais lors des collectes commencées dès 1984, par Michel Nioulou, Gilles Lauprêtre, Annick Bouchot et François Gayot, jamais les enquêteurs ne retrouveront une citation du terme boiterie.

    Michel Nioulou a enregistré auprès de Jean Fournier, à Chassigny-sous-Dun, en 1985, une version d’une des boiteries du GSAC : c’est la seule fois où l’on a retrouvé une trace de ces chants depuis 1957.

 jean fournier garaudaine boiterie

Jean Fournier à la Garaudaine en 2005

Voici l’enregistrement:

 

Jean Fournier, Chassigny sous dun (71) 1986

nos s’en vans dans l’Mâconnais

nous partons dans le Maconnais

treutssi du vin p’les Tsarollais

chercher du vin pour les Charollais

totsse don les dvant

touche donc ceux de devant

totsse don les dri

touche donc ceux de derrière

totsse les don teux ez chix

touche les donc tous les six

le ptchet bianc tireraut bein

le petit blanc tirerait bien

mais y est le gros cabet que le reteint

mais c’est le gros cabet qui le retient

allons don mon cabet

allons donc mon cabet

allons don allons don

allons donc allons donc

     Monsieur Fournier la nomme parfois tchaulage et commente en disant que c’est un chant pour mener les bœufs à la foire appris par sa grand-mère. Lui-même a attelé des vaches jusqu’en 1955 comme de nombreuses personnes dans cette commune escarpée. Mais il témoigne que jamais il n’a entendu chanter aux bœufs.

    En 2005, Laurent Billoux, éleveur de Charollaises à Charolles, et Michel Nioulou ont dressé deux paires de vaches à l’attelage. Le travail avec leurs animaux leur permet de côtoyer de nombreux anciens qui ont attelé autrefois. Aucun d’entre eux n’a jamais témoigné d’une pratique des boiteries même de manière indirecte.

     On peut donc penser que, déjà lors des collectes de 1957, les enregistrements étaient les dernières traces d’une pratique antérieure.

     Autant d’autres traditions de chants telles que celles des « mois de mai » restent très présentes et connues de la plupart des générations de la région, autant celle des boiteries semble être malheureusement tombée dans l’oubli depuis longtemps alors que nous sommes dans le berceau du Charollais.

    La présence de bientôt trois attelages à Charolles re-motivera peut-être quelques personnes à « apia yi » (atteler des bovins en langue charolaise) et à chanter de nouveau aux bêtes en s’inspirant des quelques belles boiteries sauvées in extremis.

Article paru à l’origine le 23 octobre 2010

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