Les chants à mener les boeufs :
Les boiteries sont des chants qui étaient utilisés pour inciter les vaches ou les boeufs au travail. Ces pratiques musicales étaient appelées de différents noms selon les régions:
- boiteries ou tchaulage en Charollais Brionnais
- briolage en Berry
- dariolage en Vendée
- bahotage en Bretagne
- chanchari en Guadeloupe
Un colloque consacré à ces pratiques s’est déroulé en Vendée du 7 au 10 octobre 2010. (voir le lien avec Arexcpo dans la colonne de gauche)
Nous y avons participé indirectement grâce aux contacts que nous entretenons avec les organisateurs et participants: Jean Pierre Bertrand président d’Ethnodoc en vendée, Mic Baudimant musicien chanteur Berrichon, merveilleux « brioleux »et de Michel Colleu coordinateur de l’OPCI (office du patrimoine culturel immatériel). Nous avons présenté le texte qui suit, accompagné d’un petit historique sur les attelages bovins dans le Charollais Brionnais (que vous retrouvez dans ses grandes lignes dans l’article de notre blog « 2005 la renaissance de l’attelage bovin à Charolles »).
Voici le lien avec le site de l’éditeur du livre issu de ce coloque, auquel nous avons collaboré.
Il s’intitule: LE CHANT DE PLEIN AIR DES LABOUREUR
Vous trouverez le lien en cliquant ici.
les boiteries en Charollais
Contrairement à d’autres régions de France, le Charollais Brionnais a été très peu collecté musicalement.
Dans les années 1955-60, René Horiot, du GSAC (groupe spéléo archéologique du Charollais) a réalisé une campagne de collectage. Parmi les enregistrements on trouve quelques boiteries. C’est par le biais du GSAC qu’on sait que ces chants d’encouragement aux animaux sont nommés ainsi.
Un document de synthèse de leur collectage présente une interprétation des collecteurs sur le sens et l’origine de ces chants de travail. En voici le texte:
Nous ignorons si ce nom est employé ailleurs qu’en Charollais où il désigne ces chants bucoliques servant autrefois aux bouviers pour activer leurs bœufs. En effet, si des poètes ont chanté le pas paisible et lent de ces animaux, il faut savoir que cette lenteur n’était pas souhaitable pour les travaux des champs effectués grâce à ces attelages et, pour les actionner, les bouviers n’avaient que deux moyens ; l’aiguillon (ou guidze en dialecte charolais) et la voix. L’aiguillon ne pouvant pas être employé continuellement, restait la voix, et force était aux bouviers de se faire entendre sans cesse, sinon l’attelage ralentissait.
Pour ce faire, chacun avait sa méthode. Certains criaient un peu n’importe quoi en plus de divers ordres, d’autres entremêlaient ces criailleries de jurons. D’autres encore juraient sans cesse comme des possédés, et, à ce propos, nous connaissons le cas d’un fermier Palingeois qui agissait ainsi… mais comme sa ferme était proche du château de Digoine, ses vociférations y étaient entendues, si bien qu’après lui en avoir fait en vain plusieurs observations, la châtelaine d’alors lui refusa pour cette raison le renouvellement de son bail !
Heureusement, d’autres bouviers chantaient. Il s’agissait de chants improvisés qui parfois n’étaient que de simples vocalises, et parfois un mélange de paroles et de vocalises. Bien entendu, ceux qui étaient dotés d’une belle voix en profitaient pour se faire entendre, et l’inspiration du moment leur dictait certaines paroles qui, suivant les circonstances, revenaient ou variaient souvent. Et comme les champs cultivés n’étaient pas très loin les uns des autres, il y avait parfois de l’un à l’autre de véritables concours de chants bucoliques…. Ces moments pouvaient être d’une beauté qui, hélas, ne se retrouvera plus.
Il est bien dommage que rien n’ait été recueilli de ces boiteries. Nous ne sommes en mesure que d’en donner quatre exemples de valeurs bien différentes. La plus belle étant celle due au bouvier charolais Fayard, qu’heureusement le folkloriste Gabriel Roberjon fit noter à l’époque par le chef de musique Badin. Nous n’avons pu qu’apercevoir ce document peu avant le décès de Gabriel Roberjon, mais heureusement sa nièce Mademoiselle Madeleine Sabatier en connaissait l’essentiel qu’elle a pu nous chanter.
Ces quatre exemples que nous donnons ont été recueillis dans des lieux fort éloignés les uns des autres, et trois seulement possèdent des paroles parmi lesquelles la vocalise « Olé » (d’où en découle Léo) revient chaque fois. Or cette vocalise est très usitée en Espagne, et c’est pourquoi certains ont voulu y voir une survivance de l’époque où le Comté du Charollais appartenait à l’Espagne…. Ce qui nous ferait remonter bien loin dans le temps ! Mais nous ne prenons pas parti sur ce point et nous nous bornons à le signaler.
Quant à l’expression signifiant nous irons, nous reviendrons que l’on retrouve aussi, c’est la description de la plupart des travaux des champs qui nécessitent de continuelles allées et venues. Cette description forme évidemment la base de l’inspiration des chanteurs qui pouvaient aussi faire allusion à des occupations d’un autre genre. Exemple : « Nous irons dans le Brionnais chercher du foin pour les Charollais ».
René Horiot
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Voici les enregistrements de boiteries du GSAC effectués entre 1950 et 1960. La qualité sonore n’est pas bonne mais les documents sont précieux.
boiterie n°1
boiterie n°2
Oh nos érant dans l’Brionnais
oh nous irons dans le Brionnais
Tseurtsi du foin p’les tsarollais mon cabet
chercher du foin pour lesCharollais mon cabet
Oh la lé lon lé
oh nos érant nos rveindrans
oh nous irons nous reviendrons
mes bus biancs
mes boeufs blancs
boiterie n°3
tra la la la……
oh nos irans
oh nos rveindrans
oh mes ptchets bus biancs
oh lé lé hé
lo lé lé oh
hue la hue ah tché hue la
(« tché » est l’appel couramment utilisé dans la région pour appeler les vaches au pré pour les faire venir à soi)
boiterie n°4
C’est la version la plus difficile à dépouiller du fait de la mauvaise qualité sonore: la transcription est incertaine.
les deux boeufs de dvant
valant bein 600 francs (ou tout autant)
les deux jolis veaux (ou bus,)
valant bein autant
les deux du darri
les deux du derrière
les valant bein ari
les valent bien aussi
oh lé oh lé oh lé
………………
nos rveindrans
oh lé oh lé
……………
Mais lors des collectes commencées dès 1984, par Michel Nioulou, Gilles Lauprêtre, Annick Bouchot et François Gayot, jamais les enquêteurs ne retrouveront une citation du terme boiterie.
Michel Nioulou a enregistré auprès de Jean Fournier, à Chassigny-sous-Dun, en 1985, une version d’une des boiteries du GSAC : c’est la seule fois où l’on a retrouvé une trace de ces chants depuis 1957.
Jean Fournier à la Garaudaine en 2005
Voici l’enregistrement:
Jean Fournier, Chassigny sous dun (71) 1986
nos s’en vans dans l’Mâconnais
nous partons dans le Maconnais
treutssi du vin p’les Tsarollais
chercher du vin pour les Charollais
totsse don les dvant
touche donc ceux de devant
totsse don les dri
touche donc ceux de derrière
totsse les don teux ez chix
touche les donc tous les six
le ptchet bianc tireraut bein
le petit blanc tirerait bien
mais y est le gros cabet que le reteint
mais c’est le gros cabet qui le retient
allons don mon cabet
allons donc mon cabet
allons don allons don
allons donc allons donc
Monsieur Fournier la nomme parfois tchaulage et commente en disant que c’est un chant pour mener les bœufs à la foire appris par sa grand-mère. Lui-même a attelé des vaches jusqu’en 1955 comme de nombreuses personnes dans cette commune escarpée. Mais il témoigne que jamais il n’a entendu chanter aux bœufs.
En 2005, Laurent Billoux, éleveur de Charollaises à Charolles, et Michel Nioulou ont dressé deux paires de vaches à l’attelage. Le travail avec leurs animaux leur permet de côtoyer de nombreux anciens qui ont attelé autrefois. Aucun d’entre eux n’a jamais témoigné d’une pratique des boiteries même de manière indirecte.
On peut donc penser que, déjà lors des collectes de 1957, les enregistrements étaient les dernières traces d’une pratique antérieure.
Autant d’autres traditions de chants telles que celles des « mois de mai » restent très présentes et connues de la plupart des générations de la région, autant celle des boiteries semble être malheureusement tombée dans l’oubli depuis longtemps alors que nous sommes dans le berceau du Charollais.
La présence de bientôt trois attelages à Charolles re-motivera peut-être quelques personnes à « apia yi » (atteler des bovins en langue charolaise) et à chanter de nouveau aux bêtes en s’inspirant des quelques belles boiteries sauvées in extremis.
Article paru à l’origine le 23 octobre 2010
























































