Le dressage d’un bœuf en solo aux longues guides, par Emmanuel Fleurentdidier

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Emmanuel Fleurentdidier nous propose cet article sur le dressage des boeufs en solo. Nous l’en remercions.

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Actuellement le menage des bœufs se fait le plus souvent de devant, soit en paire à l’aide d’un bâton ou d’un aiguillon, soit en simple, la plupart du temps tenu au licol et à la corde.

Le souci actuellement est que le manque de personnes pour aider le bouvier rend le travail compliqué entre la conduite du ou des bœufs et le guidage de l’outil. Aujourd’hui l’utilisateur de la traction animale est seul, et doit s’adapter à de nouvelles façons de travailler.

L’utilisation des bœufs aux guides fait partie des méthodes de conduites déjà utilisées auparavant, notamment pour la conduite des faucheuses ou dans le cas des attelages mixtes (bœuf/cheval).

Il faut maintenant le mettre au goût du jour, surtout pour des exploitations maraîchères ou viticoles, dans lesquelles l’utilisation de l’animal de traction se fait surtout en simple.

Ainsi, le bouvier peut travailler seul en conduisant le bœuf et gérer l’outil.

Le dressage de l’animal est important, mais il ne faut pas oublier les critères de choix caractéristiques en rapport avec l’attelage, que soit la morphologie (avant développé, membres forts…), le cornage, les aplombs et bien sûr le mental.

Pour l’exemple présenté dans cet article, le choix s’est porté sur la race Vosgienne. Dans les Vosges on trouve encore des animaux aux gènes qui correspondent aux aptitudes réelles de travail et où les élevages ont encore une approche qui permet d’avoir des animaux dociles, loin des élevages intensifs et des stabulations. Le choix se fait au milieu d’un troupeau où l’on observe chaque animal de façon à trouver celui qui va convenir pour le travail.

La morphologie, les aplombs, les cornes, la tête, l’encolure, l’état général de l’animal et son mental font partie des critères de sélection.

L’éducation débute par la prise de contact avec la bête.

On commence par:

Le toucher, le panser, lui donner un nom auquel il va s’identifier, lui mettre un licol et le faire marcher à ses côtés en se faisant respecter, lui faire comprendre que l’on est son meneur et se faire obéir à un ordre principal et de sécurité : le « Oh !».

Il est important aussi de mettre le bœuf dans un endroit clos et de l’observer, de voir comment il se comporte lorsqu’il est en liberté seul ou avec d’autres congénères.

Le dressage va pouvoir commencer. Les animaux sont mis à l’attache à l’étable tout au long de cette phase. Ainsi ils resteront plus concentrés sur l’apprentissage.

Il faut bien faire la différence entre éducation, dressage et travail. Ce sont trois étapes différentes de l’apprentissage.

Ici le dressage va être facilité car nous seront deux, ce qui va permettre d’être en sécurité.

Deux exemples de dressages vont être réalisés et décrits dans cet article : 

Le premier avec un jeune animal de deux ans, encore entier, issu du parc, donc pas encore manipulé et l’autre avec un bœuf de quatre ans qui a déjà été mis au joug en paire.

Premier exemple de dressage :

Le jeune bœuf ne connaît rien, il faut donc tout lui apprendre et réaliser les étapes l’une après l’autre, de l’éducation en passant par le dressage jusqu’au travail. Il sera dressé au joug simple.

– Le premier jour de dressage, on commence par le garnissage de l’animal en lui mettant les touchottes (protections des cornes), le chapeau puis le joug.

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Il doit apprendre à rester en place, ne pas bouger la tête et porter le matériel. Il a un simple licol et une longe. Le but est de le faire marcher avec tout son harnachement et de lui indiquer simplement le « marcher » et le « oh ».

Pour le moment le dressage se fait de devant ou juste sur le côté du bovin. La séance ne durera pas plus de trente minutes.

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Puis l’animal est remis à l’attache et reste garni pendant quinze minutes de façon a ce qu’il apprenne à rester en place harnaché.

– Le deuxième jour de dressage, le jeune bovin est de nouveau garni, on lui met en plus une petite sellette et les guides. Les guides sont prises sur le licol.

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La séance se fait à deux meneurs, l’un aux guides, donc placé derrière et l’autre à la longe reliée au licol. Il est muni d’une badine de façon à donner l’impulsion et « l’aide » à l’apprenti bovin.

La technique de menage aux guides est basée sur la « cession », c’est-à-dire que l’on cède à droite pour tourner à gauche et qu’on cède à gauche pour tourner à droite. Cette technique est plus « douce » et fait travailler l’animal avec souplesse et sans contrainte.

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La séance de dressage ne dépasse pas trente minutes et est réalisée deux fois par jour. On arrête la séance sur du positif, sur « une action bien exécutée ».

Pendant les deux premiers jours de dressage, le meneur de tête accompagne le jeune bovin sur le côté. Il aide le meneur aux guides en donnant l’impulsion et la cadence du bœuf. Il va passer progressivement de la tête à l’épaule.

Le meneur de derrière donne les ordres à la voix.

Pour le moment, le but de l’apprentissage est de faire avancer le bœuf et de l’arrêter. La séance de travail se fait sur des lignes droites.

– Pour le troisième jour de dressage, le travail est basé sur le rituel et la répétition. Une fois le jeune bovin garni, l’on part marcher. Le meneur de tête reste à l’épaule et le meneur de derrière donne les ordres. C’est à cette phase qu’il commence à donner les indications « à droite » et « à gauche ». Les changements de direction s’opèrent et on commence ainsi les demi-tours. On observe de quel côté il a le plus de facilité à tourner.

– Le quatrième jour de dressage.

Nous avons à disposition une vigne. C’est l’endroit idéal pour canaliser le jeune bovin dans les lignes droite et le faire tourner successivement à gauche et à droite, lui faire respecter les arrêts, les démarrages… On travaille en décomposant les étapes de sa tâche. Le bœuf travaille désormais seul avec son meneur en guide. Le meneur de tête reste en retrait juste par sécurité et intervenir en cas de besoin.

– Le cinquième jour, lors des séances, on répète les exercices et le jeune apprenti répond progressivement aux ordres : « marcher », « à droite », « à gauche », « oh » et « recule ».

– Le sixième jour, vient une séance avec l’utilisation des traits et d’un palonnier. En premier lieu, on va faire une désensibilisation aux bruits des chaînes et du palonnier sur la route.

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On passe ensuite à la traction. Cette partie du dressage est délicate pour un jeune bovin, car il n’est pas encore assez formé pour tirer réellement. Un petit pneu est utilisé pour que le poids de traction soit faible et que l’animal ne risque pas de se blesser. La sécurité est respectée pour lui et pour le meneur.

Il sera également mis à l’attelage.

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Après dix jours de dressage, le jeune bovin répond à toutes les demandes de son meneur. Il faut maintenant continuer à le faire travailler pour qu’il prenne de l’endurance. A partir de ce moment, le jeune bovin est comme un sportif, on va le travailler progressivement pour qu’il développe son cardio, son souffle, sa musculature.

Deuxième exemple de dressage :

– Le travail de dressage va être réalisé avec un bœuf de quatre ans déjà pré-dressé au joug en paire.

Il a donc déjà quelques bases. Il sait marcher avec un meneur de tête, il doit maintenant apprendre avec un meneur placé derrière lui.

Il est donc garni avec un joug simple, une sellette, les guides et on lui met un caveçon sur lequel les guides sont reliées.

Pour bien démarrer notre travail, on reprend en douceur. Par sécurité on lui met une longe au caveçon que tiendra le meneur de tête.

Cependant, le bœuf doit identifier la personne qui est aux guides comme « le » meneur. C’est pour cette raison que lui seul donnera tous les ordres. Le meneur de tête se tient à l’épaule du bovin et assure le meneur de derrière au cas où le bœuf ne réponde pas aux ordres.

L’apprenti répond déjà aux ordres de « marcher » et « oh ». Il doit maintenant apprendre les ordres venant de derrière, « à droite » et « à gauche ».

La séance commence par des parcours en ligne droite en rajoutant progressivement des demi-tours. On travaille ensuite dans la vigne en respectant certains rituels qui décomposent le travail qu’il devra réaliser par la suite.

La séance se répète deux fois par jour en ne dépassant pas les quarante cinq minutes.

Deux jours suffiront pour mettre le bovin aux ordres.

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  • Le troisième jour : la séance du matin consiste à mettre le bœuf dans la limonière de la « forcat »*. Il est garni puis on lui met la limonière sans le porte-outil. Il doit prendre l’habitude à ce que les brancards le touchent. Il doit apprendre aussi à tourner avec cette limonière qui l’entoure. Pour la séance de l’après-midi, on rajoute le porte-outil et on le travaille dans la vigne avec l’outil mais sans pénétrer le sol. Le but n’est pas de travailler le sol mais d’apprendre à travailler avec l’outil. 
  • Le quatrième jour : le travail dans la vigne avec la « forcat » progresse. Après avoir fait quelques tours sans que l’outil pénètre le sol, on met un peu de « terrage » à l’outil et le bœuf commence à travailler réellement la traction. On respecte les arrêts en bout de rang pour relever l’outil, le changement de direction pour reprendre le rang suivant puis un arrêt pour remettre l’outil en terre et repartir.
  • Le cinquième jour : le bœuf travaille maintenant avec son meneur seul aux guides. Dans un premier temps les guides en main puis ensuite les guides dans le dos. Le boeuf répond correctement aux ordres.
  • Le sixième jour, le bœuf va être mis à l’attelage. Pour cela nous utiliserons un tombereau moderne de chez AMB 88.

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C’est de l’attelage simple où les brancards sont directement reliés au joug. Le démarrage ce fait avec le meneur aux guides à pied, c’est-à-dire qu’il marche à côté de son attelage et le meneur de tête a toujours la longe reliée au caveçon.

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Après quelques mètres, afin d’observer le comportement du bœuf et lui avoir indiqué quelques ordres de maintien de dressage en respectant le meneur, ce dernier monte dans le tombereau.

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Le meneur de tête accompagne en restant sur le côté. Puis après quelques temps on peut aussi lâcher la longe du bœuf permettant ainsi au meneur aux guides de gérer seul son attelage. Le dressage est en bonne voie, les prochaines séances ne sont plus maintenant que de la répétition de travail.

Lors du dressage, nous avons pu accueillir des stagiaires du CFPPA de Montmorillon sous la responsabilité de leur formateur A. Léger. Certains ont pu mener ce bœuf en cours de dressage mais surtout ils ont pu observer et comprendre l’utilisation de la Traction Bovine.

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En dix jours de travail et en quinze jours de temps, deux bœufs ont été dressés aux guides avec une conduite par derrière.

Cette méthode va permettre de faire évoluer la traction bovine d’une façon plus « moderne » au même titre que la traction équine, aussi bien pour les utilisateurs en maraîchage que dans les vignes.

* Forcat : outil maraîcher, composée d’une limonière (brancards), d’un porte-outil et d’outils : charrue, sous-soleuse, sarcleuse et butoir.

Emmanuel Fleurentdidier

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